Parmi la liquidation des différentes « poches » qui achève la libération totale du territoire français, celle de la poche de Colmar revêt une importance particulière par le volume des forces engagées et par l’âpreté des combats menés au cours d’un hiver particulièrement rigoureux (températures descendant jusqu’à moins vingt degrés).
Après l’épuisement de l’offensive allemande des Ardennes, le commandement allié envisage d’entamer des opérations au-delà du Rhin ce qui implique, dans la zone impartie à la Première Armée Française, la résorption de la poche de Colmar tenue par la 19ème armée allemande.
A cet effet, dès la mi-janvier, la 2ème Division Blindée (général Leclerc) puis la 28ème Division d’Infanterie US (général Cota) lui sont affectées en renfort, en plus de la 3ème Division d’Infanterie US (général O’Daniel) déjà en place.
Dans son ouvrage Histoire de la Première Armée Française, le général de Lattre de Tassigny expose son plan :
« Ne laisser à l’Allemand aucune chance de s’échapper; libérer Colmar intact. En conséquence, l’effort à faire devra consister à étrangler la poche le long du Rhin, là où elle s’alimente c’est-à-dire dans la région de Neuf-Brisach.
« Dans cette direction seront enfoncés deux « coins » convergents. Le premier le sera au sud, par le 1er Corps d’Armée du général Béthouart qui déplacera le centre de gravité du dispositif adverse et aspirera ses réserves. Puis, deux jours plus tard, le 2ème Corps d’Armée du général Monsabert entrera en action : ce décalage, nécessité par la mise en place des renforts attendus, aura pour effet d’augmenter la surprise de l’ennemi.
« Entre ces deux masses d’attaque, dans les hautes Vosges, le front restera, initialement, passif. Il s’activera lorsque notre filet sera assez tendu auprès du Rhin pour que le moment soit venu de rabattre vers lui le poisson…«
L’offensive du 1er Corps débute le 20 janvier 1945 à 7H30 ; malgré la tempête de neige la progression est, initialement, rapide mais limitée et contrecarrée, dès le 22 janvier, par de violentes contre-attaques qui obligent l’ennemi à engager une partie de ses réserves.
L’offensive du 2ème Corps débute le 22 janvier à 21H30 ; elle bénéficie d’un effet de surprise. Dès la matinée du 23, l’Ill est abordée en deux points par la 3ème DIUS d’une part, par la 1ère DFL d’autre part, et la progression atteint sept kilomètres. Mais sur tout le front les combats sont acharnés, l’ennemi réagissant par ses blindés et son artillerie.
C’est donc un certain pessimisme qui apparaît lors de la réunion tenue le 24, à Ribeauvillé, poste de commandement de la 3ème DIUS. Il apparaît que l’importance des forces adverses aux abords de l’Ill rend le franchissement laborieux et ne permet pas un large déploiement des blindés.
Le Général Barr, chef d’état-major du général Devers (commandant du 6ème Groupe d’Armée US qui englobait douze divisions américaines et onze divisions françaises) assistait à cette réunion.. Le général de Lattre lui dit : « Vous voyez bien que nous n’en sortirons qu’avec des moyens supplémentaires; donnez- moi donc ce 21ème Corps d’Armée qui n’a rien à faire ; alors vous verrez ! » Le général Barr lui répond : « si l’on accorde ce que vous demandez ; quand l’affaire sera-t-elle finie ? « . Le général de Lattre examine un instant la carte et lui répond : « Le dix février au plus tard » .
Conscient de l’importance de l’enjeu, le commandement allié met aux ordres du général de Lattre le 21ème Corps d’Armée US du général Milburn et la 75ème Division d’Infanterie US du général Potter, renforcée. Le général Milburn englobe sous son commandement l’ensemble des divisions américaines et la 5ème DB française du général de Vernejoul et s’insère, à partir du 29 janvier, au centre du dispositif, entre les deux Corps d’Armée français.
Dès lors, la rupture peut être envisagée.
Sur le front du 2ème Corps d’Armée, la menace sur Strasbourg est levée et la couverture du flanc gauche du 21ème Corps d’Armée US est assurée. Un pont sur l’Ill est lancé et le Rhin est bordé, le 1er février, jusqu’à une dizaine de kilomètres au nord de Neuf Brisach.
Sur le front du 1er Corps d’Armée, la bataille fait rage autour de Cernay.
Sur le front du 21ème Corps d’Armée US, la 28ème Division d’Infanterie US atteint le champ de manœuvre de Colmar, à un kilomètre de la ville.
Le 2 février, au matin, le colonel Rudder arrête son régiment (109ème Régiment d’Infanterie US) pour laisser aux blindés français de la 5ème DB l’honneur de pénétrer, les premiers, dans Colmar. La chute de Colmar précipite l’effondrement de la résistance allemande.
Le 4 février, le 1er Corps d’Armée et le 21ème Corps d’Armée US font leur jonction à Rouffach et à Sainte Croix.
Du 4 au 8 février, c’est l’exploitation.
Le 8 février, le 21ème Corps d’Armée US atteint Neuf Brisach puis Fessenheim tandis que le 1er Corps d’Armée entame un mouvement d’enveloppement vers Chalampé.
Le 9 février, à 8 heures, les Allemands font sauter le pont-rail de Chalampé.
Mais il a fallu attendre le franchissement de la Lauter, le 19 mars, par le 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens appuyé par les chars de la 5ème DB pour que l’Alsace soit, enfin, libre.
Malgré ses villages martyrisés dans l’âpreté des combats, elle a accueilli ses libérateurs avec une chaleur que tous les combattants gardent en mémoire.
Dans la bataille de Colmar, la Première Armée française a engagé près de 300 000 hommes dont 125 000 américains. Cette bataille a coûté la vie à 2 137 combattants, dont 1 595 français, et fait 11 253 blessés, dont 8 583 français. Il faut y ajouter 7 115 hospitalisés, dont 3 887 français, pour accidents, gelures, problèmes sanitaires divers. Les pertes ennemies sont estimées deux à trois fois plus nombreuses et 20 000 prisonniers furent faits. La 19ème Armée allemande fut, pratiquement, anéantie.