“A certains moments, la difficulté pour un chef est de faire avancer ses troupes. Mais à d’autres, elle est de les retenir.” Général de Lattre de Tassigny (Histoire de la 1ère Armée Française). Mais ses généraux savaient à quel moment l’audace devenait témérité, ce qui supposait de parfaits dons de tacticiens.
Marseille était une place forte redoutable, un véritable camp, avec un système défensif double. Des verrous puissants contrôlaient les quatre axes routiers qui y rentrent. D’autres sont dans la ville même autour des installations du port et de la colline de Notre-Dame de la Garde. La garnison était renforcée par la 244° division d’infanterie, des éléments de la Kriegsmarine et des unités en retraite venant de l’est, mises à mal par les opérations du débarquement. Elle disposait de 150 à 200 canons du 75 au 220. Et la 11° Panzerdivision remontait à l’ouest. Les ordres d’Hitler étaient de tenir Marseille jusqu’à la dernière cartouche, afin d’éviter la création d’une base d’un intérêt primordial pour les Alliés, tandis que la 19° Armée allemande retraitait vers le nord.
Il fallait en finir avec Toulon avant d’envisager une action importante sur Marseille. Mais de Lattre envoya des éclaireurs vers son second objectif. Cette mission remporta un tel succès dans la soirée du 19 août qu’il fallut se demander s’il fallait profiter de cette occasion favorable. Dès que de Monsabert eut terminé l’encerclement de Toulon à l’ouest, il reçut l’ordre de se porter le 20 vers Aubagne, point clef de la défense allemande à l’est. La seconde bataille de Provence est donc déclenchée. Trois éléments vont assurer la victoire: le Combat Command n°1 du général Sudre, le 2° Régimental Combat Team de la 3° D.I.A., le 7° Tirailleurs Algériens (colonel Chappuis) et le général Guillaume avec ses Tabors. La prise d’Aubagne demandera deux jours de combats d’une extrême violence (au 1er Tabor, deux capitaines sur trois seront tués). “Comment voulez-vous, dira le colonel Westphale fait prisonnier au cours de la bataille, que mes pauvres garçons puissent se mesurer avec vos troupes africaines, manoeuvrières et aguerries ?” Le 1er G.T.M. marche en direction de Septèmes vers la route d’Aix-en-Provence à Marseille qu’il abordera plein Nord.
Les événements se précipitent le 22 août. L’insurrection nationale a éclaté dans la cité. Monsabert pousse vers Marseille le 1er bataillon du 7° R.T.A. et le C.C.1 de Sudre. Lors d’une conférence à Gémenos, réunissant de Monsabert, Larminat et Guillaume, de Lattre précise que la pénétration dans Marseille ne devra être effectuée qu’avec des moyens suffisants et trace sur la carte une ligne à ne pas dépasser, entre les faubourgs et la ville.
Le 22 août au soir, la colonne venue d’Aubagne atteint le faubourg de Saint-Julien où la population lui fait un accueil délirant, un véritable appel.
Le 23, au lever du jour, le colonel Chappuis n’y tient plus, il laisse son avant-garde se faire littéralement aspirer et plonge d’un trait vers la cité. A 8h il est au carrefour de la Madeleine où se trouve le boulevard qui conduit à la Canebière. Chappuis est un vieux soldat discipliné, il a atteint la ligne, mais il se rappelle que de Lattre a naguère réclamé qu’on ne laisse pas passer l’occasion favorable. En lui transmettant les directives de de Lattre, Monsabert a ajouté sur un ton enjoué “Mais si vous en avez l’occasion …” “D’ailleurs, Chappuis écrira plus tard, “si le chef vivait la situation présente, il condamnerait l’inaction.” A 10h les Algériens et les chars descendent la Canebière vers le vieux port.
Alors, brusquement, l’ennemi se réveille et réagit violemment de tous côtés. De Lattre, dès qu’il l’apprend, donne l’ordre à Monsabert d’engager dans Marseille le C.C. Sudre et prélève sur Toulon la 3° D.I.A. qu’il transporte d’urgence sur Marseille. Pour bien montrer sa détermination, de Monsabert s’installe au Q.G. de la 15° Région Militaire, près de la Préfecture, au beau milieu du dispositif ennemi, le jour même de la libération de Paris.
Le commandement allemand, abasourdi par la rapidité de notre pénétration, ne sait que penser de l’importance de nos forces. Depuis deux jours, le soulèvement de la population, attaquant les voitures et les patrouilles isolées, a contraint les troupes allemandes à se retirer dans leurs bunkers ce qui facilite grandement nos opérations.
Le Général Schaeffer, chef du secteur fortifié de Marseille, hésite sur son devoir. Il avait engagé des pourparlers avec les F.F.I. et le Colonel Chappuis les reprend à son compte. Le général accepte de négocier, avec une suspension d’armes, toute relative d’ailleurs. L’accord ne peut se réaliser, le Français demandant une reddition sans condition et à 19h15 le combat reprend, la bataille de rues va s’engager, en même temps que la réduction des derniers ouvrages de la ceinture extérieure par les Tabors poussant au nord dans la région de Septèmes et de l’Estaque et au sud depuis Cassis.
Le 24, les Allemands se sont retranchés avec leurs formidables moyens intacts sur la colline de Notre-Dame de la Garde et les six kilomètres des installations du port. Le 25 août au matin, l’attaque démarre. A Notre-Dame les Allemands déclenchent un jet de feu avec douze lance-flammes, trop tôt heureusement. Le premier tank Sherman, Laporte, le Jeanne d’Arc explose au pied des marches du sanctuaire. Le second, Jourdan, a une chenille arrachée par une mine: le chef de bord Lolliot, quoique blessé, s’extirpe de la carcasse, court à la Basilique et déploie le drapeau tricolore sur la grille avec l’aide d’un F.F.I. C’est après de très durs combats, à 16h que le drapeau flotte sur le dôme de la “Bonne Mère”. L’ouvrage installé dans la quartier marseillais du Roucas-Blanc résistera jusqu’au lendemain et la colline sera à nous.
Les F.F.I. sont répartis entre les groupes de combat et rendent de réels services par leur connaissance des lieux. Petit à petit, l’ennemi est acculé à la mer et ne peut fuir car le cercle se referme tout autour. Des combats très meurtriers sont menés autour de positions préparées depuis des années. Mais le 26, l’adversaire commence à donner des signes de lassitude. Le 27, à 17h le drapeau blanc est hissé sur le fort Saint-Nicolas. Les forces libérées de Toulon arrivent avec leurs puissants moyens d’artillerie.
Le 28 à 7 heures, le général Schaeffer se présente au P.C. de Monsabert et accepte nos conditions: livraison de toutes les armes et de tous les ouvrages, interdiction de toute destruction supplémentaire au port et ailleurs, enlèvement des mines et pièges par les troupes allemandes, reddition de la garnison en unités constituées à partir de 13h. A l’heure dite, commence l’interminable défilé des prisonniers vers le camp de Sainte-Marthe , les cloches sonnant à toute volée la libération de la deuxième ville de France. Le 29, cérémonie d’action de grâces à Notre-Dame de la Garde, puis prise d’armes grandiose au Vieux Port, avec une Marseillaise triomphante d’une émotion indicible.
Puis défilé inoubliable des troupes et des F.F.I. ayant assuré la victoire, entre deux haies d’une foule innombrable, en délire, hurlant sa joie et son enthousiasme.
De Lattre envoie au général de Gaulle son fameux télégramme : ”Dans le secteur de l’Armée B , aujourd’hui J+13, il ne reste plus un Allemand qui ne soit mort ou captif.”