Avant sa mise en œuvre, le but d’ANVIL (nom de code du débarquement de Provence) était de faire se rejoindre au plus tôt les troupes d’Eisenhower venues de Normandie et celles du débarquement de Provence; la chute de Toulon et de Marseille étaient les deux points très importants de la manœuvre. Les directives ultérieures étaient très vagues et le succès rapide de de Lattre -32 jours d’avance sur le planning- les faisaient se décider au jour le jour, ce qui était plutôt favorable pour nous, car basées sur nos succès locaux.
De Lattre ne voulait à aucun prix perdre sa liberté de manœuvre et se laisser enfermer dans “une trappe”. Il poussa donc vers le Rhône à hauteur d’Avignon, position clef de tout le Midi, permettant de multiples manœuvres, le but ultime étant d’être les premiers sur le Rhin et en Alsace.
La percée de Patton de la Normandie vers l’est (“qui amènera la victoire, tout le reste étant garniture” dira de Gaulle) oblige le Général Wiese, commandant la 19° armée allemande, à un mouvement de retraite pour 5 divisions d’infanterie et la 11° Panzer, durement attaquées par la 36° D.I.U.S. et la Task Force Butler. La Nationale 7, sur des dizaines de kilomètres, est couverte d’une suite ininterrompue des vestiges du matériel de la 19°, inextricablement enchevêtrés après destruction.
La poursuite franco-américaine comportera trois phases: atteindre la transversale Lyon-Genève, puis atteindre le niveau de la trouée de Belfort et enfin le regroupement de notre armée, des Vosges à la Suisse (15-20 septembre).
Le 25 août, le général Patch, dans son ordre d’opération n°3, donne à l’armée “B” l’ordre de traverser le Rhône à Arles et de reconnaître en force vers Nîmes-Remoulins et, en direction du nord, le long de la rive droite du Rhône.
Le groupement du Général du Vigier pousse vers Alès, Montélimar et éventuellement Montpellier.
Le 28 août, Patch reçoit l’ordre d’assurer la jonction avec les troupes d’Eisenhower et le 6° C.A.U.S. par Grenoble et Valence, marche sur l’est de Lyon, vers Autun, Dijon et Langres. L’Armée “B” a alors en propre sa zone d’action entre la Suisse et la Saône, vers Bourg-en-Bresse, Besançon, Belfort et l’Alsace. Malheureusement le manque de carburant va se faire sentir et sera le principal obstacle à la rapidité de la progression, malgré les prouesses des conducteurs de camions trop peu nombreux. Pour les empêcher de s’endormir au volant, ivres de fatigue, on avait planté à intervalles réguliers des panonceaux leur racontant une histoire découpée: “Si tu fais un voyage de plus, tu seras plus vite de retour chez toi. etc etc…sans fin!”
L’Ordre d’Opérations de de Lattre n° 24 du 29 août précisait: la 2° D.I.M. assurera la couverture des Alpes, la 3° D.I.A. et la 9° D.I.C. rejoindront les Américains à Grenoble et pousseront à droite vers Ambérieu et la Franche-Comté. Liberté de mouvement pour le Groupe du Vigier de l’autre côté du Rhône.
La 1ère D.F.L. pénètrera dans Lyon le 3 septembre à 8 heures du matin.
Le 7 septembre, à 15 km de Chagny, un peloton de tanks-destroyers tombe sur un train blindé avec deux automoteurs de 120, quatre de 105 sous tourelle et plusieurs canons automatiques jumelés. La locomotive est immobilisée d’un coup heureux. Et les tanks tirent à vue sur la forteresse roulante et sur les cinq convois qu’elle escorte depuis le sud-ouest. Près de 3 00 prisonniers sont alors faits par la 1ère D.B.
Les généraux Dodi (4° R.T.M.) et Béthouard assurent la couverture des Alpes, de la Suisse à la Méditerranée. Le 2 septembre de Lattre fait une visite triomphale à Montpellier où il fut le seul à s’opposer aux troupes allemandes lors de l’invasion de la zone”libre” le 11 novembre 1942 !
Jusqu’au 10 septembre, date à laquelle les troupes allemandes perdront tout espoir de regagner l’Allemagne, une série de combats se déroule entre la 19° armée de Wiese, le 6° C.A.U.S. et l’armée “B” vers Villefranche, Grenoble, Bourg-en Bresse, Lons-le-Saulnier, Chambery, Dôle, Pontarlier, Montbéliard, Baume, Dijon, Beaune, Autun.
Le 12 septembre, en Côte-d’Or, la jonction est faite entre les soldats de la 2° D.B. venus de Normandie et ceux de la 1ère D.F.L. débarquée en Provence. Après leur rencontre sur le plateau de Langres, les deux grandes forces débarquées en Normandie et en Provence n’en forment plus qu’une, sous les ordres d’Eisenhower.
Le 25 septembre, l’Armée “B” devient la Première Armée Française, avec son autonomie tactique, à égalité avec la 7ème armée américaine. De la frontière suisse au pied des Vosges et au Jura, la 1ère Armée Française est en ligne, orientée vers l’Est, Belfort et Mulhouse. La poursuite est terminée, une bataille d’usure commence !
En trois semaines d’efforts et de succès , nos troupes ont libéré 25 départements français, capturé près de 100 000 hommes. Le prix à payer fut de 500 tombes françaises et 1 657 américaines.
Cinquante et une divisions alliées marquent un temps d’arrêt de la Mer du Nord à la Suisse car “même le succès se paye” par les difficultés d’approvisionnement dues aux rapides succès.