En Tunisie, les Français ont souvent combattu avec des moyens réduits et la décision finale n’est intervenue qu’après le renforcement des unités américaines. En Italie, au contraire, nous allons voir les forces françaises réarmées mener le jeu et, après l’échec de plusieurs actions frontales menées par nos alliés, rompre le front ennemi par la manœuvre, en combinant le sens tactique avec, cette fois, la puissance du matériel.
Après avoir conquis la Sicile, les anglo-américains, sous commandement du général anglais Alexander, effectuèrent un difficile débarquement à Salerne, le 9 septembre 1943 ; ils prirent Naples le 1er octobre mais se trouvèrent rapidement bloqués par les forces du Maréchal Kesselring qui disposait, dans son Groupe d’Armées, de vingt-cinq divisions aguerries ; en effet, pour l’Allemagne, l’attaque de l’Italie était le début de l’attaque de la forteresse Europe.
Le Maréchal Kesselring fit réaliser trois lignes successives de défense couvrant Rome puis Florence puis la plaine du Pô.
La première, celle où se déroulèrent les plus violents combats, était la ligne Gustav située dans la partie la plus montagneuse de l’Italie du sud. Dans la zone qui intéresse les combats des unités françaises elle suivait le cours du Rapido et du Garigliano ; elle était doublée par la ligne Hitler qui coupait la vallée du Liri et la route de Rome entre le Cairo (1649 mètres) et les monts Aurunci (1535 mètres au plus haut sommet). Ces deux lignes étaient complétées par deux lignes secondaires dominant la vallée du Liri : Dora et Orangers.
La 2ème Division d’Infanterie Marocaine (2ème DIM) du général Dody et le 4ème Groupement de Tabors (Lt colonel Siulard) furent les premières unités françaises à monter en ligne en novembre 1943. La division relève la 34ème DIUS. Elle participe à la première offensive frontale des alliés et enlève le Pantano (1160 mètres), par le 5ème RTM du colonel Joppe, le 1er décembre et la Mainarde (1027 mètres), par le 8ème RTM du colonel Molle le 27 décembre. Elle est à pied d’œuvre pour attaquer les derniers massifs qui couvrent le Rapido : Costa San Pietro (1450 mètres) et Mona Casale (1395 mètres).
En cette fin d’année 1943, une violente tempête de neige s’abat sur le secteur ; les hommes sont à peine protégés dans leurs abris sommaires mais le moral tient bon, soutenu par l’arrivée de la 3ème Division d’Infanterie Algérienne (3ème DIA) du général Monsabert
Le 3 janvier 1944, le général Juin prend, à l’aile droite de la 5ème Armée US du général Clark le commandement du secteur du 6ème CAUS.
Une seconde offensive frontale, menée du 12 au 16 janvier permet à la 2ème DIM de conquérir la Costa San Pietro, par le 8ème RTM et le 5ème Tabor, et à la 3ème DIA de prendre le Mona Casale (1395 mètres), par le 7ème RTA du colonel Chapuis et le Mona Aquafondata (1325 mètres), par le 3ème RTA du Colonel de Linares. Le 17 janvier les unités françaises bordent le Rapido devant la ligne Gustav.
Il est d’usage d’englober les quatre offensives qui suivront sous le nom de la bataille de Cassino.
La première offensive de Cassino (21 au 23 janvier) conduit à un échec ; les Américains de la 36ème DIUS n’ont pas pu forcer l’entrée de la vallée du Liri, cloués au sol par les tirs ajustés des deux positions allemandes du Mont Cassin et du Mont Majo. Les Alliés décident alors d’un débarquement de contournement à Anzio.
La seconde offensive de Cassino (25 au 31 janvier) est passée dans l’histoire sous le nom de « bataille du Belvédère » ; pourtant l’action des Français n’était que secondaire puisqu’elle consistait à attirer les réserves ennemies en vue de soulager l’action principale américaine sur le mont Cassin.
La 3ème DIA, couverte face au nord-ouest par la 2ème DIM, doit prendre pied au nord de Cassino sur le Belvédère et le Colle Abate voisin, montagnes relativement basses (721 et 915 mètres).
Emportant vivres et munitions pour plusieurs jours, deux bataillons du 4ème RTT , le 3ème du chef de bataillon Gandoet et le 2ème du chef de bataillon Berne traversent, de nuit, le Rapido puis bondissent à l’assaut de la falaise, font taire les blockhaus ennemis en jetant des grenades dans les embrasures et grimpent ainsi, de rochers en rochers, jusqu’au rebord du plateau. Les deux bataillons de tête atteignent l’objectif. Mais le général Von Senger, qui commande le 14ème corps blindé allemand a pris conscience de la brèche effectuée dans la ligne Gustav qui peut permettre de tourner les positions du Cairo par Terelle ou Belmonte ; il ordonne plusieurs contre-attaques repoussées avec une farouche énergie. Le 26 au soir, le 4ème RTT est encerclé ; le colonel Roux, commandant le régiment est tué, deux chefs de bataillons blessés, onze capitaines tués ; le régiment sera dégagé et relevé le 4 février, ayant perdu les deux tiers de l’effectif engagé.
Le général Juin a vainement préconisé au commandement allié de profiter de cette brèche dans la ligne Gustav pour tenter un débordement par la dépression d’Atina.
La troisième offensive de Cassino (10 février au 25 mars) est conduite par la 8ème Armée britannique ; elle est précédée par l’inutile destruction du monastère du mont Cassin ; les parachutistes allemands qui n’occupaient pas le monastère prennent position dans les ruines et repoussent les assauts des troupes indiennes et néo-zélandaises. Pour ce qui concerne les Français, les unités sont au repos et se reconstituent ; elles voient arriver deux nouvelles divisions : la 4ème DMM du général Sevez et la 1ère DMI (ex 1ère DFL) du général Brosset ainsi que des unités de réserve générale et des groupements de Tabors du général Guillaume.
Le CEFI est au complet en mai 1944 (112 000 hommes), prêt pour de nouveaux succès.
La quatrième offensive de Cassino (11 mai au 22 mai) est passée dans l’histoire sous le nom de bataille du Garigliano, sans doute parce que sa base de départ fut la tête de pont située dans la boucle du Garigliano entre le Liri et le golfe de Gaète. La force de persuasion du général Juin et les exploits des français pendant l’hiver arrivent à convaincre le général Alexander, auparavant sceptique, et le général Clark, plus acquis, de déborder largement les puissantes défenses allemandes de la vallée du Liri par la montagne et plus exactement par les monts Arunci, moins fortifiés, pour atteindre Pico et se rabattre vers le nord pour déborder les défenses adverses. Cette manœuvre implique un changement complet du dispositif allié , un transfert du CEFI dans la tête de pont et la mise en place d’importants moyens logistiques : 170 000 rations de vivres – 35 000 rations d’orge pour les 400 mulets – 57 000 galons d’essence – 2 000 tonnes de munitions. De 500 à 1 000 camions par nuit assurent cette mise en place du 27 avril au 5 mai.
Le 11 mai, dans l’après- midi, le général Juin diffuse son célèbre ordre du jour : « Combattants français de l’armée d’Italie, une grande bataille, dont le sort peut hâter la victoire définitive et la libération de notre Patrie, s’engage aujourd’hui. La lutte sera générale, implacable, et poursuivie avec la dernière énergie. Appelés à l’honneur d’y porter nos couleurs, vous vaincrez, comme vous avez déjà vaincu, en pensant à la France martyre qui vous attend et vous regarde. »
Le 11 mai, à 23 heures, le feu de plus de 2 000 canons de tous calibres embrase la nuit noire de Cassino à la Méditerranée. Pour bénéficier de l’effet de surprise, il n’y a pas eu de préparation initiale ; dans les premiers fracas de notre artillerie les tirailleurs se lancent à l’assaut en entonnant la Chahada, à la fois pour se donner du courage et pour recommander leur âme à Dieu car ils savent qu’ils peuvent mourir mais ils suivent leurs chefs qui les entrainent.
Dans la nuit, leur chemin est dantesque ; l’artillerie allemande se déclenche, puis les mortiers, il y a ensuite le piège des champs de mines et pour terminer les armes automatiques qui viennent éclaircir encore leurs rangs ; à peine un objectif atteint, une contre-attaque ennemie arrive. Pourtant, le 12 mai au matin, le 8éme RTM du colonel Molle (2ème DIM) et le 1er bataillon du 6ème RTM (4ème DMM) ont pris le Faito (623 mètres) et s’y cramponnent mais les pertes sont énormes. Dans la soirée, le 4ème RTT du colonel Guillebaud (3ème DIA), servi par la poussée du 2ème CAUS au sud, entre dans Castelforte. Ailleurs, l’avance est bloquée ; néanmoins, le général Juin, qui s’est rendu sur place, décide de reprendre l’effort.
Le 13 mai, le Feuci est pris par le 2ème bataillon du 5éme RTM du Colonel Joppe (2ème DIM) qui se porte ensuite sur le Majo (940 mètres) abandonné par les Allemands et Castelforte est prise par le 4ème RTT (3ème DIA) qui débouche sur son axe d’exploitation. Le 14 mai, cette exploitation est menée par la 3ème DIA et le corps de montagne (4ème DMM et Goums).
Le 15, la 3ème DIA, appuyée par les chars, est devant Ausonia et le corps de montagne aborde le Petrella (1535 mètres). Le 17 mai,, le verrou d’Esperia est forcé ainsi que la ligne Dora. Le 18 mai, le contact est pris sur la ligne Hitler par la 1ère DMI et la 3ème DIA. Le 20 mai, la ligne Hitler est forcée. Sur le papier, tout cela parait facile, mais il faut imaginer les difficultés rencontrées par ces unités menant marches et combats successifs, de crête en crête, avec des problèmes de ravitaillement et d’évacuation des blessés souvent avec l’aide des mulets.
Le 21 mai au matin, huit jours après le déclenchement de l’offensive, le CEFI a franchi complètement le massif des monts Aurunci ; il est prêt à déboucher sur les arrières allemands. Le 22 mai, Pico est à nous ; le commandement allemand, affolé, retire des fronts anglais et américains tout ce qu’il peut retirer, notamment la 26éme Panzer division qu’il lance dans la région de Pico. La 3ème DIA subira pendant plusieurs jours les actions de chars les plus violentes de la campagne. Le 25 mai, l’avant-garde du 2ème CAUS fait jonction avec celle du 6ème CAUS d’Anzio dans les marais Pontins. Il n’y a plus de tête de pont d’Anzio.
La marche sur Rome est une succession d’actions retardatrices des unités allemandes profondément désorganisées mais non détruites ; elles ont subi des pertes importantes en hommes (25 000 prisonniers) et en matériel (les Français ont pris l’artillerie de deux divisions) ; l’action de l’aviation alliée, beaucoup plus efficace sur ces colonnes en retraite qu’elle ne l’a été lors de la rupture ne cesse d’accroître ces pertes.
Dans les premiers jours de juin, la 3ème DIA marche sur Palestrina et Tivoli, défendue par les parachutistes de la division Hermann Goering et atteint le Tamerone dont les ponts ont sauté. Un pont est lancé. La 2ème brigade (colonel Garbay) de la 1ère DMI traverse alors la rivière et le 5ème Bataillon de Marche entre dans Tivoli, à une trentaine de kilomètres de Rome, le 6 juin, jour du débarquement en Normandie. Les Français reçoivent alors l’ordre de stopper, l’entrée dans Rome, déclarée ville ouverte par les Allemands, étant réservée, en priorité, aux Américains et aux Britanniques… Nos troupes sont tout de même admises au grand défilé du 7 juin.
La marche sur Sienne commence après quelques jours de repos dans la région de Rome. Le CEFI reçoit la mission de poursuivre les unités de la 14ème armée allemande dans le cadre de la 5ème armée américaine mais dans une zone d’action étroite d’une trentaine de kilomètres. Deux divisions seulement sont mises en ligne le 10 juin, formant un corps de poursuite aux ordres du général Larminat, à gauche la 3ème DIA, à droite la 1ère DMI. La marche est jalonnée de combats retardateurs avec des coups d’arrêt souvent extrêmement durs : La Rotta, Radicofani, Amiata, rivière d’Orcia où les Allemands sont en train d’établir la ligne Frieda. La 1ère DMI, première division à quitter le CEFI pour participer au débarquement de Provence, est alors relevée par la 2éme DIM ; elle a perdu en Italie seize pour cent de son effectif. Dans la nuit du 26 au 27 juin, les Allemands abandonnent la ligne Frieda. La 3ème DIA fonce alors vers Sienne, nouveaux coups d’arrêt : Casciano, col de Rosia ; Sienne est à huit kilomètres. Le 2 juillet, la 3ème DIA se trouve aucontact d’une solide position défensive couvrant Sienne en arc de cercle.
Le 3 juillet, après avoir déclaré Sienne « ville hôpital », les Allemands l’évacuent ; les premiers éléments du 4ème RTT y pénètrent. Le 4 juillet, dans Sienne, première grande ville libérée par les seules troupes française une prise d’arme a lieu sur la Piazza Del Campo ; la 3ème DIA et un détachement de goumiers défilent devant le général Juin ; c’est l’adieu de cette division au CEFI puisqu’elle doit, à son tour, rejoindre la zone de regroupement pour l’embarquement vers la Provence. Elle aura laissé, comme toutes les divisions du corps expéditionnaire beaucoup des siens sur cette terre italienne. A titre d’exemple, au premier bataillon du 4ème RTT du chef de bataillon Cerutti, depuis janvier, les pertes atteignent cent-cinquante pour cent de l’effectif.
Après Sienne, il reste aux alliés à atteindre Florence puis à franchir l’Arno pour aborder la ligne gothique que les Allemands renforcent en hâte au nord de la ville. Au CEFI, seules la 2ème DIM et la 4ème DMM restent en ligne ; les combats livrés par ces deux divisions sont très durs et leur coûtent des pertes analogues à celles subies dans la bataille du Garigliano. C’est une succession de durs accrochages : massif du Mont Maggio, San Giminiano, Castelfiorentino. Depuis le 21 juillet, la relève de la 4ème DMM par les Britanniques se poursuit ; cette division a perdu, depuis Sienne,1 360 tués et blessés. La 2ème DiM stoppe à vingt- cinq kilomètres de Florence et se laisse dépasser ; première arrivée en Italie, elle sera la dernière à rejoindre sa zone d’embarquement pour la Provence ; elle aura perdu huit mille hommes en sept mois et demi.
Le CEFI n’existe plus. Il aura payé ses victoires de plus de seize mille hommes. Dans les régiments d’infanterie, les pertes pour six mois de combats dépassent en pourcentage celles de deux ou trois années de la première guerre mondiale. Trois cimetières rappellent sur la terre italienne ces sacrifices : celui de Miano, faubourg de Naples (1 849 tombes), celui de Venafro, dans la vallée du Volturno proche de Cassino (3 376 tombes) et celui de Rome à la sortie nord de la ville (1 822 tombes).
Les généraux Alexander et Clark ont manifesté au général Juin, quittant son commandement, toute leur sympathie et leur admiration pour les résultats obtenus par les forces françaises. Avec la magnifique résistance de la 1ère Brigade Française Libre du général Koenig à Bir Hakeim les victoires du CEFI ont largement contribué à relever le prestige de l’armée française aux yeux de nos alliés.