Les 17 et 18 juin 1944, des éléments de l’armée française vont accomplir un nouveau fait d’armes : la prise de l’île d’Elbe, après les prouesses de C.E.F.I. (Corps Expéditionnaire Français en Italie) sous les ordres du Général Juin.
Ce fut en fait une répétition du débarquement de Provence sur une côte similaire de falaises abruptes et de petites criques rocheuses sans accès routier vers l’intérieur. La marine et l’aviation n’ayant pas garanti la destruction des principaux obstacles et batteries, les chocs et les commandos ont montré ce qui était possible à la contre-batterie à moyens humains en triomphant de ces obstacles pour surprendre et détruire les batteries côtières et désorienter le commandement ennemi.
La garnison est de l’ordre de 3 000 hommes commandés par l’énergique général Gall. Il a fait exécuter des travaux de défense puissants d’une redoutable efficacité compte tenu du relief et six batteries de 155 sur les points propices aux débarquements, mais un peu moins à l’intérieur de l’ile.
Les abords maritimes de l’île étant défendus par d’importants champs de mines, il sera obligatoire de pénétrer par le couloir utilisé par les navires allemands pour atteindre le port de Marina dicampo.
Le général Henry Martin, le contre-amiral anglais Troubridge et le colonel aviateur américain Darcy furent chargés de la préparation de la “Force 255” qui était composée de troupes exclusivement françaises pour l’armée de Terre, d’unités pour la Marine principalement britanniques renforcées d’unités françaises, de groupes alliés pour l’Air, dont deux groupes de chasse français.
Il fut admis au début que l’A.F.H.Q. (Allied Forces Headquarters = Quartier Général des Forces Alliées en Méditerranée) aurait le commandement de cette Force 255. Mais le général de Lattre en obtint la responsabilité, selon le voeu du président du C.F.L.N. (Comité Français de Libération National à Alger).
Le Bataillon de Choc du lieutenant-colonel Gambiez accepta la mission de débarquer ses hommes en pleine nuit, trois heures avant l’attaque pour réduire au silence les principales batteries. On pourra alors espérer une tête de pont où débarquera la majeure partie de nos forces terrestres : des éléments de la 9ème Division d’Infanterie Coloniale du général Magnan, le deuxième Groupement de Tabors Marocains du colonel de Latour et le Groupe des Commandos d’Afrique du lieutenant-colonel Bouvet soit une masse de 12 000 hommes et 600 véhicules.
Le 16 juin, vers 23 heures, les 220 navires alliés approchent de l’objectif vers le canal de Marina di Campo. A minuit, les “chocs”embarquent à bord des L.C.A. (Version anglaise du L.C.V.P. américain : Landing Craft Véhicule Personnel. Peut embarquer 36 hommes équipés ou un véhicule de 3000 kg ou 4000 kg de frêt).
Ils débarquent en six points, la surprise est complète et les “chocs” vont réussir magnifiquement et à peu près complètement à détruire les batteries. Ils se répandent dans l’île, attaquent les postes isolés, les convois, incendient les dépôts, causent un désordre qui désoriente le commandement allemand. A quatre heures, une immense lueur illumine la baie de Marina di Campo avec un énorme grondement de tonnerre : les bâtiments d’appui feu avec leurs 4 000 tubes viennent d’expédier une énorme salve de roquettes.
Les Allemands répliquent aussitôt, avec un déluge de feu. Deux L.C.A. sont en flammes, puis deux L.C.I. sur les cinq de la troisème vague. Les Sénégalais ont réussi à débarquer mais resteront plus de cinq heures accrochés à une étroite bande de sable : un enfer. Ils progressent toutefois à l’aide de bangalores (explosifs au bout de perches ) et de cisailles, se frayant un passage dans les barbelés mais les champs de mines créent des pertes sanglantes. L’homme de tête de chaque colonne déroule une tresse blanche jusqu’à ce qu’il tombe, il est remplacé par le suivant jusqu’à ce qu’il s’écroule à son tour: le passage est assuré par ces sacrifices, à “coup d’hommes.”
A l’est de la baie, les commandos d’Afrique (équivalents des “chocs”) ont parfaitement réussi à débarquer et s’emparent dès l’aube du Mont Tombone. Dans la matinée, Marina di campo est prise, le colonel Chrétien , commandant le Régiment de Tirailleurs Sénégalais, ayant réussi à débarquer, malgré les récifs, avec le 4ème Régiment Colonial et les Tabors. A 16 heures, nous sommes maîtres du pourtour montagneux de la baie de Marina di Campo. Les troupes françaises atteignent la côte nord dans la soirée et occupent toute la partie ouest de l’ile, assurant pratiquement la victoire, grâce à la guérilla généralisée et à une diversion navale devant Porto-Ferraio.
Le 18 juin, la progression reprend avec l’aide de l’aviation et de l’artillerie. La Compagnie Kuntz du 4° R.T.S. s’empare dès 5 heures du matin de la villa Napoléon et inscrit sur le livre d’Or : « La France ! ». La capitale de l’ile, Porto Ferraio, est prise à 14 heures. Au centre le 902° bataillon allemand « Festung » défend durement les abords du Mont Puccio qui sont tournés par les tabors, les chocs et les commandos qui progressent le long de la côte sud jusqu’à la citadelle de Porto Longone sur la côte est, dont les 300 hommes de la garnison se rendront le 19.
La conquête de l’ile est pratiquement acquise le 18 au soir. Le Général Gall parvient à s’échapper en embarquant à bord d’un sous-marin.
L’Opération « Brassard » est la première victoire de l’Armée « B », future « Première Armée Française », victoire chaudement disputée. Les troupes françaises ont tué ou blessé plusieurs centaines d’Allemands, fait 1995 prisonniers et pris un important matériel.
Dans ces durs combat, nos pertes ont été de 7% des effectifs, soit 201 tués dont 20 officiers,51 disparus et 635 blessés. Le journal quotidien de l’armée américaine Stars and Stripes écrira dans son numéro du 24 juin : « La marine alliée estime que l’invasion de l’île d’Elbe a été le plus dur de tous les débarquements en Méditerranée. »