Le 20 janvier 1945, nous attaquons la montagne au nord de Than, pour dégager la ville et tenter une percée en direction de la plaine d’Alsace… A 14 h l’attaque n’a guère apporté de gain de terrain.
L’ennemi tient toujours les crêtes d’où il nous arrose d’un feu d’enfer. Sur leurs uniformes, ils ont passé des chasubles blanches, ce qui fait que l’on ne les voit pratiquement pas dans la neige, alors que nous en kaki leur offrons de magnifiques cibles sur fond blanc. Les mulets ne peuvent pas monter la pente trop raide et verglacée : nous sommes chargés de monter à dos d’homme le ravitaillement en munitions pour le 2ème bataillon. Nous partons le 22 au petit matin avec nos chargements… La neige tombe toujours, le vent nous coupe en deux, nous glissons avec nos souliers sans crampons, effectuant trois mètres en avant, deux en arrière. Les blessés qui descendent de là-haut forment une colonne sinistre; nous ne risquons pas de nous perdre, notre chemin est tracé dans la neige rougie de leur sang. Il y a là-haut un grand nombre de morts. La Croix avec son Christ grandeur nature sur le glacis qui est devant nous semble une vision de l’apocalypse. Pour le 1er R.T.M., le Raguen est son chemin de croix, son calvaire, un peu ce qu’a été Castelforte en Italie pour le 2ème R.T.M. La Compagnie, après avoir donné les munitions apportées, prend position sur le glacis à la vue des fritz qui ne se privent pas de nous arroser de minens. Le 22, l’attaque a échouée. Nous restons sur place, les hommes sont à bout de force et ne peuvent plus avancer. Le 24, nous avons été relevés (…)
Le 18 avril 1945, premier cantonnement en territoire ennemi à Lynx. Les ordres sont d’être intransigeants mais justes avec les civils ; ce peuple nous a imposé la guerre, à son tour, il doit en subir toute la rigueur.
Le 25 avril 1945 à Tuttlingen où nous étions au repos, à 2h45, réveil en fanfare. A 3h15 la compagnie est sur pied. Les Allemands se sentant encerclés et pris au piège entre la Forêt Noire et la ligne Siegfried, tentent une percée en direction du Jura Souabe, mais ils n’ont aucune chance. A part quelques escarmouches avec des éléments du 1er Bataillon, ils seront contenus, puis complétement anéantis dès le lever du jour par l’action concertée de l’artillerie et de l’aviation. Ici vient d’être détruit le reste de la 19ème Armée allemande que nous avons toujours trouvé devant nous depuis le débarquement de Provence.
Le 28, au cours d’une patrouille de nettoyage, nous avons un tué qui sera pour nous le dernier tué à l’ennemi, le Sergent Misbert. Il faisait partie d’un groupe qui est entré dans une maison pour la fouiller. L’officier est entré à son tour et a demandé si l’étage avait été fouillé. Devant la réponse négative du chef de groupe, il lui demanda de le faire séance tenante. Misbert s’engagea dans l’escalier, mais il n’avait pas gravi la moitié des marches qu’un salopard posté là-haut lui envoya une rafale de mitraillette, le tuant net. Aussitôt le porc levait les bras en l’air pour se rendre. L’officier s’interposa pour ne pas que les hommes du groupe l’abattent comme un chien qu’il était. Pour ma part, j’aurais laissé faire, , si ce n’est moi qui l’aurait exécuté. Un homme qui veut se rendre n’a pas à tirer sur des hommes qui viennent vers lui; pour beaucoup d’entre nous c’était un assassinat.
Sergent-Chef Robert MONTIGNAC
Président Honoraire Départemental RHIN et DANUBE Gironde
Chevalier de la Légion d’Honneur