Récit du combat par le Lieutenant DES BRUNES (Extraits) :
Jeudi 7 septembre 1944.
A 8h 10, je reçois l’ordre du Capitaine Giraud de me porter au village de Saint-Bérain-sur-Dheune. Il ne m’accorde pour cette mission qu’une partie de mon peloton : ma jeep radio, une jeep avec mitrailleuse de 30, une jeep de protection, un Half-Track avec mitrailleuses de 50 et de 30, le Tank Destroyer (T.D.) “Béarn”. Effectif : 1 officier, 2 sous-officiers et 22 hommes.
Avant d’entrer dans Saint-Bérain, un civil se précipite à ma rencontre et m’annonce qu’un train blindé allemand va entrer en gare. J’entends, en effet, assez loin encore, le bruit d’un train marchant au ralenti. J’hésite quelques secondes puis embosse le T.D. dans un petit chemin bordé d’arbres le long de la Dheune.
Je pars ensuite avec ma jeep, puis me dirige à pied vers le cimetière; nous sommes repérés. Je rejoins le peloton, pendant que le T.D. ouvre le feu sur le train.
Un civil arrivant à bicyclette m’annonce que cinq à six convois de transport de troupes suivent le train blindé et que leurs occupants sont en train de mettre pied à terre. Etant donné le changement de situation que m’apportent ces renseignements, je décide de défendre, par priorité, la lisière sud du village. J’y fait entrer mes jeeps, le T.D. et mon Half-Track. Les boches commencent à être agressifs; ils nous arrosent avec leurs armes automatiques et nous envoient des minen (obus de mortier).
A 10h 55, j’entends un coup de sifflet comme pour le départ d’un train civil et le bruit d’un train qui démarre. Le T.D. Béarn s’embosse : la locomotive dès son apparition est saluée par quelques obus de 75 mm et s’arrête, les bielles fracassées.
A 12h 10, heureuse surprise, arrive une demi-section de zouaves à ma disposition. La situation s’est nettement améliorée, sans être encore brillante.
A 13h 50, nouveau coup de sifflet. Je vois le train précédemment en panne, s’ébranler, poussé par un autre train. Ma mitrailleuse de 50 ouvre le feu. Le T.D. Béarn vient reprendre sa place dans la rue du village. Je suis à côté de lui et conformément à mes ordres, il tire sur la locomotive, laquelle, touchée en plein dans la chaudière, exhale son dernier souffle de vapeur et s’immobilise; les voies sont maintenant bloquées par les trains en panne. Je fais mettre à l’abri mon précieux half-track. On m’annonce alors que les boches ont l’air de décharger un char derrière la gare : la fête va être complète !
A 15h 25, un message radio fait remonter ma propension naturelle (?) à l’optimisme :
a) – il doit y avoir une intervention de l’aviation sur le train blindé dans l’après-midi;
b) – des T.D. du 1er peloton vont s’embosser au-dessus du village pour tirer sur les trains;
c) – Je vais avoir un renfort d’infanterie
Effectivement, à 15h 45 arrive une section de zouaves.
A 18h10, j’apprends qu’un tir d’artillerie va se déclencher. A 18h 20, un véritable vrombissement emplit le ciel : les premières salves arrivent. Je fais allonger le tir qui sera d’une précision remarquable; mes hommes surexcités, jubilent et trépignent de joie. Huit avions se montrent à 18h30, mais voyant la précision du tir d’artillerie n’interviennent pas et font demi-tour. Plusieurs wagons commencent à flamber, des munitions explosent. L’ennemi semble pris de panique. Des groupes compacts se sauvent à travers champs, sans arme ni équipement.
A 19h 10, le tir d’artillerie cesse. A 19h15, je rencontre le capitaine Viane qui, avec le reste de sa compagnie, vient occuper et prendre le commandement du village. La nuit tombe.
Vendredi 8 septembre 1944
Après une nuit tranquille, interrompue seulement à 0h 10 par le tir d’artillerie que nous avions demandé et qui met le feu à plusieurs autre wagons, je me lève à 5h.
A 7h 45, nous voyons apparaître un drapeau blanc du côté de la gare avec deux civils. Je me précipite à leur rencontre. L’un d’entre eux se présente : “Capitaine F.F.I. François”. Ils étaient prisonniers des Allemands depuis plusieurs jours. Ils nous annoncent qu’à 19h la veille, le commandant du train blindé parlait de se rendre , et que, finalement, lui et presque tous ses hommes ont pris la fuite et qu’il ne reste plus de boches dans les trains. Le capitaine Viane décide d’envoyer une patrouille; je lui demande l’autorisation de m’y joindre; nous voyons de loin que la maison du garde-barrière a été transformée en poste de secours. Un médecin-major boche se présente à nous et déclare soigner une vingtaine de blessés. Ses dires sont contrôlés, je demande par radio une ambulance, et nous lui laissons une garde.
Nous sommes libres, maintenant, d’admirer le train blindé monstrueux, tout neuf, qui s’allonge immobile, toutes ses armes pointées en direction de Saint-Bérain. De crainte de pièges, je demande qu’on m’envoie d’urgence du Génie pour le visiter. Pendant ce temps, nous explorons les trains de marchandises (sept en tout, immobililisés derrière le blindé); tous sont équipés de wagons plate-forme, portant des canons de Défense Contre Avions de 20 ou 37 mm. Nous faisons tout de même une bonne trentaine de prisonniers qui ont l’air complétement hébétés, résultat du bombardement d’artillerie. Nous jetons un rapide coup d’oeil sur les convois : partout des armes, des équipements boches. Le ravitaillement, les cigarettes, des objets pillés de toutes sortes y abondent.
La composition du train blindé est la suivante:
- Un wagon plate-forme blindé, portant un canon automoteur de 120 mm(?) monté sur un châssis de chenillette Lorraine
- Un wagon blindé comportant une tourelle de 105mm et un affût quadruple de mitrailleuses de 20mm
- Un wagon blindé à munitions avec un canon de 40mm Bofors et une tourelle de 105mm
- Une locomotive et un tender blindés
- Un wagon de commandement, avec une tourelle de 105 mm
- Un autre wagon à tourelle de 105 mm avec affût quadruple de 20 mm
- Un autre wagon plate-forme portant un automoteur de 120 mm
Dans tous les wagons, les hommes avaient des couchettes confortables; partout des hauts-parleurs et des postes de T.S.F; 20 à 30 mitrailleuses sur rotule (M.G.43) devant permettre la défense rapprochée du train; 800/1000 fusils, 50 mitraillettes; 5 trains de voyageurs, 181 wagons, 5 locos.
Prisonniers : 300.
Je dois avouer qu’après le premier mouvement d’étonnement à la vue de ce train si formidablement armé et accompagné, je suis envahi d’un sentiment de fierté; d’abord à cause de la beauté de la prise, mais surtout, en pensant au grand baroud de la veille, le premier que je faisais à la tête de ce peloton que je commande depuis un mois, dont beaucoup d’hommes ont bagarré en Tunisie. Je pense ne pas les avoir déçus. Cette impression m’est agréablement confirmée par l’attitude de mes hommes qui fouillent les wagons et me rapportent un peu de tout : ravitaillement, cigarettes, appareils de photo, rasoirs électriques, etc. L’un d’eux me fera cadeau d’un drapeau de guerre boche provenant du train blindé; un autre me donne un pistolet P 38, objet de mes désirs, depuis longtemps.
Nous déjeunons tous confortablement chez des civils qui nous font fête. La population est sortie des caves et nous gâte à plaisir. Je rejoins mon nouveau P.C. Et, volupté nouvelle, je dors dans un lit, pour la première fois depuis le débarquement de Provence, le 15 août 1944.
Lieutenant DES BRUNES
Adolescents,
Ils ont donné leur printemps
d’hommes
Afin que nous soyons un jour
ce que nous sommes