Les jours qui ont précédé la libération de Pfastatt, ma sœur aînée avec qui je faisais équipe et moi-même, étions en permanence au poste avancé de secours de Dornach, quartier complètement évacué de sa population.
Le matin du 20 janvier 1945, les préparatifs de combat s’accélèrent et nous recevons l’ordre de nous diriger vers le quartier nord de Mulhouse où une tête de pont franchissant l’Ill nous permet de suivre la jeep du médecin-capitaine Schierl qui a pour mission d’installer le premier poste de secours à Pfastatt vers Richwiller. A l’entrée de Pfastatt un char est immobilisé et mis hors de combat. La bataille fait rage de tous côtés – les obus pleuvent – le froid est intense – il gèle.
Une terrible journée commence : nos ambulances avancent sur un immense glacis découvert, qui sépare le village de la forêt, pour aller chercher les blessés cloués au sol qui crient, qui hurlent. Les brancardiers s’activent, certains y laisseront leur vie, car des tireurs isolés nous alignent à la mitrailleuse. Je cite un fait : un soldat allemand, grièvement blessé, s’était fait un garot avec une bretelle. Il s’était planqué dans un trou d’obus armé d’une mitrailleuse lourde et des bandes de balles qui lui ont permis, pendant des heures, de décimer tout ce qui bougeait et devant les nôtres, impuissants.
Parfois on entendait le jeune médecin auxiliaire chargé des urgences qui hurle “couchez-vous !” et tout repart, c’est l’enfer. C’est à notre troisième mission, devant le poste de secours, alors que nous nous apprêtions à repartir sur le terrain, qu’un obus tombe et un éclat traverse le pare-brise pour se loger dans la carrosserie de la sanitaire. Il nous suivra jusqu’en Allemagne ! Inch Allah ! Et pendant de longues heures, c’est un va-et-vient avec notre poste de secours.
Pour comble de malheur, une fine neige poudreuse recouvre rapidement ces corps que le froid finit peut-être d’achever. Nous sommes bouleversées, car nous savons que c’est de la rapidité de nos évacuations que dépend la survie de nos blessés. Hélas, pour beaucoup il n’en fut rien – tous les moyens sont mobilisés. Notre commandant, présent, dépêche ses gars du service auto pour remplacer les brancardiers tués.
C’est en fin de cette journée qu’il fut décidé qu’un ¾ de tonne (Dodge 4×4 à 4 roues motrices, comme les ambulances) – avec des volontaires – irait chercher de nuit, au milieu des mines, les morts sur le terrain. C’est l’affligeant spectacle de ces corps raidis, chargés et entassés…
Le matin du 24 janvier, alors que nous transportions des blessés au deuxième poste de secours, une terrible nouvelle nous foudroie : notre camarade ambulancière Denise Ferrier vient d’être tuée à Richwiller. Le corps brisé de notre chère Denise sera installé dans une petite pièce où viendront s’incliner pour un douloureux adieu, et entre deux évacuations, nos camarades ambulancières. C’est le 25 au matin qu’a lieu un office célébré dans la chapelle de l’hôpital et notre Denise reposera dans le parc durant de longues années – sa tombe entretenue et honorée par les Pfastattois reconnaissants.
La guerre continue. Nous poursuivons nos missions avec notre poste de secours en direction de Kingersheim, de Wittelsheim et de la Cité Anna qui nous coûtera beaucoup de blessés – combats de rues – maison par maison – avec de redoutables tireurs isolés – des prisonniers et des blessés allemands sont ramenés au poste de secours. Ce furent des jours qui laissent d’atroces souvenirs.
Notre commandant voulait nous obliger à accepter la relève pour l’arrière. Toutes les ambulancières sont unanimes dans leur refus. Nous décidons de poursuivre notre mission jusqu’au bout.
En Allemagne, après la capitulation, nous sommes désignées pour l’évacuation des camps de concentration jusqu’au départ de la 9° D.I.C. pour l’Indochine.
Ambulancière Marie-Louise MOLBERT