Dans son sens général, la logistique militaire est l’ensemble des actions qui visent à soutenir les opérations des forces armées depuis la production, nationale ou importée, jusqu’aux combattants. Dans le sens plus restreint qui nous intéresse ici, nous nous bornerons à examiner la logistique de la Première Armée Française depuis la base d’opérations jusqu’aux unités combattantes.
La base d’opérations 901 de la Première Armée
La base était chargée:
- de la satisfaction des besoins de l’armée qu’elle ravitaillait soit sur ses propres dépôts soit par transit des expéditions lui parvenant ;
– d’entretenir des volants d’approvisionnements aux niveaux fixés par le commandement destinés à parer aux ruptures éventuelles de ses ressources ou aux besoins opérationnels inopinés ( par exemple : un seul jour de combat d’une division blindée nécessitait 750 tonnes de carburant et munitions) ;
– d’acheminer les approvisionnements vers les dépôts de l’armée; c’était ensuite l’armée qui répartissait, les divisions venant percevoir aux dépôts de l’armée ( les demandes ayant tout d’abord transité par la voie hiérarchique ).
L’entretien d’un homme pendant un mois nécessitait le transport d’une tonne de fret. La base 901 traitait 18 000 tonnes par jour.
Installée, assez tardivement d’ailleurs, à Marseille elle était assez pauvre en moyens ; elle ne dépassa pas 27 000 hommes alors que la base américaine en a compté plus de 90 000 pour des effectifs soutenus sensiblement équivalents. En fait, la Première Armée Française s’est trouvée dans un système mixte franco-américain, ce qui a parfois compliqué son travail ; la base américaine acheminait les besoins sur les dépôts de la Première Armée ou sur la base 901 mais ne prenait pas en compte certains ravitaillements spécifiquement français ni, ultérieurement, les forces de l’intérieur engagées dans l’armée française.
La base 901 détacha une base avant à Dijon en octobre 1944 qui fusionna avec une partie de la base américaine. En avril 1945, le PC de la base 901 s’installa à Nancy et en mai à Strasbourg
Le quatrième bureau de la Première Armée
Le quatrième bureau de l’état-major de l’armée est le coordonnateur de la logistique. Le général de Lattre a dit de son quatrième bureau qu’il lui avait demandé des miracles et qu’il les avait réalisés grâce à la persévérance et à la ténacité des troupes, des armes et des services. Les difficultés ont été particulièrement importantes d’abord dès le débarquement car les moyens de transport et les unités des services n’étaient pas encore à terre ; ensuite devant les destructions importantes sur les voies de communication, notamment sur les voies ferrées.
Plus dramatiquement encore mi-septembre où se produisit le coup d’arrêt sur les premières résistances allemandes organisées alors que, d’après les plans de la logistique américaine, l’armée française devait encore être devant Marseille ; les moyens sont passés de 40 000 hommes, 6 400 véhicules le 16 août à 165 000 hommes, 33 000 véhicules, 5 500 animaux un mois après alors que le quatrième bureau ne disposait encore que de sept groupes de transport, c’est-à-dire une capacité totale de 900 tonnes alors qu’il en aurait fallu le double pour alimenter des forces dispersées sur 650 km de profondeur et 250 km de largeur. Enfin, dernière crise en Allemagne où la France se créait une zone d’occupation que les Américains n’avaient pas prévue.
Pour remplir sa mission, le quatrième bureau disposait des commandants des armes et des directeurs de services suivants :
– Le Commandement du Génie maintenait en état ou réparait les axes routiers de l’armée et les infrastructures ; il fournissait, dans ses parcs, certains matériels d’organisation du terrain ; il assurait l’approvisionnement et la maintenance de ses propres unités en engins spéciaux du Génie.
– Le Commandement des Transmissions ravitaillait les unités en matériel spécifique et réparait ces matériels. Il était également responsable de la Poste aux Armées.
– Le Commandement du Train assurait les transports routiers et muletiers et mettait à la disposition du Service de Santé ces mêmes moyens.
La Direction du Matériel.
La Direction de l’Intendance.
La Direction du Service des Essences.
La Direction du Service de Santé.
Une partie de ces organismes ayant fait l’objet d’études précédentes sur ce site, nous ne traiterons ici que du Matériel, de l’Intendance et du Service des Essences.
Le Service du Matériel
Le service du Matériel était chargé de la fourniture et du maintien en condition des véhicules courants et blindés, de l’armement et des munitions.
Il disposait de 10 Compagnies de Réparation Divisionnaires à raison d’une par division ; en réserve générale d’armée d’une quarantaine de compagnies plus lourdes ou plus spécialisées ( blindés, artillerie ), de 4 compagnies magasins et de 10 compagnies munitions.
Soutien des matériels
Les matériels endommagés ne pouvant pas être remis en état par les régiments étaient groupés en des points de rassemblement puis transportés par la division jusqu’à un centre de récupération organisé par elle.
Au centre de récupération, un triage séparait les matériels réparables par les moyens divisionnaires de ceux dont la réparation relevait d’un échelon supérieur. Ces derniers étaient transportés par l’armée dans un centre de regroupement d’armée situé, si possible, près d’un point d’embarquement voie ferrée. Au centre de regroupement d’armée, un nouveau triage distinguait les matériels réparables par les formations de l’armée ou de la base d’opération de ceux dont la réparation relevait d’organismes nationaux.
Ravitaillement en munitions
La manœuvre des munitions, liée au rythme des opérations est du ressort du commandement. Le service du Matériel en assure le stockage dans les dépôts, la gestion, l’entretien, l’expédition et la distribution.
L’unité de stockage dans les dépôts est l’unité de feu (UF); elle correspond au taux unitaire, par arme et par jour, consommé lors de combats de moyenne intensité. A la Première Armée, l’UF de la division d’infanterie pesait 450 tonnes celle de la division blindée 650 tonnes. Dans les dépôts de la base d’opérations 5 à 6 UF de l’armée étaient stockées; dans les dépôts de la base avant, située dans la zone arrière d’armée, le stock était de 3 UF. Ces chiffres étaient fortement majorés en période offensive. L’entretien de ces stocks représentait, en septembre 1944, 500 à 600 tonnes à transporter par jour. L’approvisionnement aux unités combattantes était effectué dans des zones de livraison, simples points de transbordements.
Le Service de l’Intendance
Le Service de l’Intendance était chargé d’administrer et de pourvoir les corps de
troupe, plus précisément en ce qui concerne la solde, les vivres, l’habillement, le
harnachement, le campement, le couchage.
Il disposait de 2 intendances d’étapes, de 10 groupes d’exploitation divisionnaires
à raison d’un par division, de 4 gestions des subsistances d’étapes, de 2 groupes de
fabrication de pain plus une section autonome de boulangerie tractée et d’une compagnie
de ravitaillement et transport de viande .
Le commandement fixait, à chaque échelon, en fonction de la situation et des directives reçues de l’échelon supérieur :
- Le taux des rations à allouer à l’échelon directement subordonné ;
- La proportion de rations de différents types ( rations de combat notamment ) ;
- L’emplacement des dépôts et des centres de ravitaillement ;
- Le niveau des approvisionnements à y entretenir ;
- Le rattachement des formations aux dépôts et aux centres ;
- Le crédit ouvert aux différentes formations pour une période donnée.
Le service de l’Intendance prenait les dispositions nécessaires pour compléter automatiquement chaque échelon au niveau fixé en utilisant les crédits ouverts.
En ce qui concerne les vivres, les tonnages transportés étaient de l’ordre de 12 000 tonnes pour 30 jours pour 100.000 hommes soit 4 kg par homme et par jour. Pour l’habillement, ils étaient de 2 tonnes par jour pour une division, soit environ 13 tonnes par jour pour 100.000 hommes.
Le Service des Essences des Armées
Le Service des Essences des Armées ( SEA ) est chargé de l’approvisionnement des
forces en carburants et huiles de toute nature.
A la Première Armée il disposait de 5 compagnies de ravitaillement et d’exploitation, de 3 compagnies de ravitaillement et d’une compagnie de distribution.
Les premiers éléments du SEA ont débarqué en Provence immédiatement après les premiers combattants ; sur les plages, une ronde incessante de camions amphibies (les DUKW) mit à terre des nourrices pleines ; 125.000 tonnes furent ainsi débarquées du 16 août à fin septembre 1944 ; les capacités de stockage des raffineries de Berre furent utilisées à partir de début septembre. Le pipe-line américain de la vallée du Rhône fut ensuite mis en œuvre.
Les besoins journaliers en essence sont passés de 280.000 litres le 15 août à 600.000 le 30 août et à 800.000 le 15 septembre soit environ 800 tonnes. Les transports par voies ferrées et fluviales étaient perturbés par les destructions ; il s’ensuivait une surcharge sur les camions du Train et de nombreuses ruptures de charges alors que l’on recherche toujours, en principe, un transit direct du centre de ravitaillement principal vers le dépôt principal de l’Armée.
Les stocks de la Première Armée étaient fixés à 5 600 m3, soit l’équivalent de 7 jours de consommation. En Alsace, les pointes journalières atteignirent jusqu’à 1 200 m3. Le gel a interrompu tout pompage sur le pipe-line pendant 5 jours ; il bloqua les péniches sur les voies fluviales et empêcha le retour vers Marseille des wagons immobilisés dans la zone des armées. Il s’ensuivit, le 18 janvier 1945, à deux jours du déclenchement de la bataille pour Colmar, une baisse du stock de 7 jours à 1 jour de consommation ; le stock remonta les jours suivants.
Le pipe-line atteignit la région de Sarrebourg le 10 février et fût prolongé ensuite jusqu’en Allemagne, dans la région de Mannheim. Malgré cela, les circonstances opérationnelles arrivent à créer des crises locales ; c’est ainsi que, début janvier 1945, lors de l’attaque allemande au sud de Strasbourg qui réussit à atteindre Kraft, le Bataillon de Marche n°24 (1ère DFL) fut encerclé dans la région de Gersthein–Obenheim; son ravitaillement en vivres et munitions ne fut possible que par parachutage. Plus tard, dès la prise d’Ulm, la Première Armée se prépara à attaquer l’Autriche. Une opération aéroportée à base d’avions français amena, pendant 48 heures, l’essence nécessaire pour constituer des dépôts avancés au sud de Sigmaringen.
Les quantités de produits pétroliers distribuées aux unités françaises du 15 août 1944 au 8 mai 1945 ont été de 237.000 tonnes d’essence et de 16.500 tonnes de gasoil, huiles et graisses diverses.
Autres Services
Nous citons, pour mémoire :
Le Service Vétérinaire (1 dépôt de remonte, 1 hôpital vétérinaire d’armée, 2 ambulances vétérinaires) ;
Le Service Géographique (1 dépôt de cartes d’armée, 1 magasin avancé, 2 compagnies géographiques, 1 section géodésie-topographie, 2 sections géographiques de corps d’armée ) ;
La Prévôté (3 escadrons et 1 groupe autonome de la Garde) ;
La Poste aux Armées, coiffée par le commandement des Transmissions, qui fit un énorme travail postal (le Bureau Central Militaire de Paris dirigeait, sur la seule Première Armée, en juin 1945, 67 tonnes de lettres, 66 000 valeurs déclarées et lettres recommandées, 519 tonnes de paquets) mais manqua bien souvent, pendant les opérations, de moyens de transport.
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La logistique est d’une importance vitale pour toute opération militaire; sans elle la manœuvre stratégique ou tactique est grandement entravée voire compromise. Pour un combattant, elle impose, selon la richesse des moyens nationaux, de 3 à 6 hommes en soutien. Le général de Lattre qui savait pourtant oser et «ne pas subir» l’a lui-même souligné dans son Histoire de la Première Armée Française : «Car, dans l’énorme machine qu’impose la guerre moderne, s’il arrive que les combattants de première ligne envient leurs camarades maintenus par leur emploi plus à l’arrière, qui donc songerait à nier l’importance du rôle de ceux-ci et l’efficacité de leur participation à la lutte d’ensemble ?»
Pourtant, dans la littérature sur la seconde guerre mondiale on trouve, en France, très peu d’ouvrages spécialisés sur le sujet. Nous avons donc le devoir de citer ci-dessous nos sources :
Extrait du bulletin de l’ANOST- Numéro spécial 1944 – 60ème anniversaire- rédigé par M. KOPECKI , ancien membre du SGEDN, ancien chef du bureau défense de la SNCF ;
De l’Intendance Militaire au Commissariat de l’Armée de Terre par Patrick BEAUFIGEAU – Pierre EVENO – Xavier GENU . La Poste Militaire 1943-1945 par le Général de Division L. MERLIN, le Colonel G. MULLER et le Lt. Colonel H. GRAS.