La Garde aux Alpes – Campagne 1944/1945

La Première Armée ayant débarqué sur les côtes de Provence avec le succès que l’on sait, nos divisions, déjà bien aguerries par les combats menés pour la prise de Rome, s’engouffraient dans le couloir rhodanien. Une garde du côté des Alpes était nécessaire. Les maquis du Vercors, de l’Ain, de Savoie et de Haute-Savoie sont dès la libération de Lyon (septembre 1944) “amalgamés » à la 1ère Armée. Ils deviennent la 27ème Division Alpine à qui sera confié le “ front des Alpes”.

Le 5ème Régiment de Dragons (qui tenait garnison à Mâcon dans l’Armée d’Armistice) est reformé et devient le régiment de “reconnaissance “ et, “uniformité” obligeant, nos dragons seront dotés de la “tarte” des Chasseurs Alpins, qui porte, à la place du cor une grenade blanche en drap

Sous les ordres du Chef d’Escadrons de la Ferté Saint Nectaire, le 5ème Dragons fut engagé dans un premier temps en Maurienne et en Tarentaise, où je le l’ai rejoint. Première mission, Girardot et moi, avec chacun notre groupe avons pris position dans un ancien poste de douane, au Cormet de Roseland à 1968 m d’altitude, enfoui littéralement au milieu de 2m50 de neige. Le plus gros de notre temps était de se protéger du froid, mais il fallait aussi “patrouiller” et prévenir ainsi toute incursion germano-italienne. Que de kilomètres sur des skis équipés de peau de phoque ! Nous tournions en rond dans la nature et ces patrouilles ont quelquefois duré deux ou trois jours, pendant lesquelles nous avons dormi dans un trou fait dans la neige.

Après deux mois passés sur nos sommets, l’escadron a fait mouvement sur Barcelonnette, plus exactement au Fort de Tournoux, dit “à la Vauban” construit dans les années 1843-1865, qui gardait la vallée de l’Ubaye et conduit vers le Nord au col de Vars, et au Sud-Est vers le col de Larche, où avait été construits, lors du programme Maginot, les ouvrages de Roche-Lacroix occupés par un détachement germano-italien. Du lit de l’Ubaye (1297m) au Serre de l’Aut (2008m) où fut construit l’observatoire, le site du Fort s’étage sur plus de 700m de dénivelé. Il comprenait au niveau le plus bas des casernements pour la troupe et des casemates pour leur sécurité. On accédait ensuite par une petite route en lacets au fort “moyen” avec des logements, des magasins à vivres et soutes à munitions, et une batterie. Plus haut se trouve le fort “supérieur” et tout au sommet l’observatoire.

Le 4 décembre 1944, les Allemands, qui tiennent les ouvrages de Roche-Lacroix, attaquent le fort supérieur. L’artillerie marocaine déclenche un tir de barrage “au plus près” du fort supérieur et disperse les Allemands. Fin janvier 1945, j’ai pour mission de m’installer à l’observatoire; il y a 954 marches d’escalier creusées dans le roc pour y accéder. Je ferai le parcours quasiment tous les jours pour descendre aux ordres et rendre compte de mes activités ! Au bout d’un mois je fus relevé et ramené au fort moyen. Duvillard, qui deviendra champion de ski, était maréchal-des-logis comme moi; le Capitaine Collonge nous emmena deux fois pour déminer la route qui passant devant le fort de Tournoux monte vers le col de Larche et donc vers les ouvrages de Fort-Lacroix. Celle-ci était truffée de “tellerminen”, mines anti-chars, posées par les allemands dans leur retraite vers l’Italie. Nous repérions les mines car la neige était plus haute à l’endroit où elles étaient enfouies; nous les dégagions à la main jusqu’à ce que nous trouvions la poignée qui servait à les manipuler, nous saisissions la dite poignée et ramenions la mine sur un tas que nous avions fait au bord de la route.

Au cours de notre quête, l’un de nous cherchait la poignée jusqu’à ce qu’il découvre un “bitoniau” fixé sur la mine auquel était fixé un petit, tout petit fil de fer, “Stop” dit le capitaine “elle est piégée”

Nous nous sommes reculés, mis à couvert et Duvillard et moi avons tiré à la carabine sur l’engin qui en éclatant a fait un raffut du tonnerre de Dieu ! Nous avons eu chaud, rétrospectivement.

Peu de temps après, en mars, le Capitaine Collonges me charge d’aller faire une patrouille dans la vallée même de l’Ubaye, au vu et sus des ouvrages de Roche-Lacroix. Disposition de combat, deux éclaireurs en tête, deux en flanc garde côté montagne, le Fusil-Mitrailleur derrière moi, le reste de la troupe en arrière-garde. Nous nous installons “en bouchon”, face aux ouvrages de Roche-Lacroix en nous camouflant un peu cependant, et un quart d’heure plus tard, explosion sur nos arrières. Denis “l’ancien” nous dit d’un ton péremptoire “Cela, les gars, c’est un coup de mortier, les boches nous ont repérés, c’est un coup de réglage, nous allons maintenant ramasser une dégelée”. Alors moi, le “chef” je commande un repli stratégique de cent mètres, pour nous mettre à couvert. Je n’avais pas fait dix mètres que j’ai été propulsé méchamment et j’atterris six mètres plus loin, la face contre terre. Je me suis relevé péniblement, je l’avoue, et ce fut pour constater que Girardot, qui, avait en toute vraissemblance mis le pied sur une “schuhmine”, avait une jambe coupée juste sous le genou et l’autre déchiquetée. J’ai chargé Girardot sur mes épaules pour le ramener au bord de la route et l’évacuer. L’ambulance est arrivée avec un toubib et ses infirmiers de l’antenne chirurgicale installée à Jausiers où l’on finit de couper la jambe de Girardot. Denis occupait le deuxième brancard et comme il paraissait que j’avais le dos criblé d’éclats, j’ai été aussi embarqué vers Embrun et l’hôpital de la Tronche à Grenoble. A la fin de ma convalescence, j’ai rejoint Tournoux en avril et je fus de nouveau blessé par éclat de mine, ce qui m’a valu d’être une nouvelle fois dirigé sur la Tronche.

Pendant mon séjour et la convalescence qui a suivi, le 5ème Dragons a été engagé dans l’attaque et la prise des ouvrages de Roche-Lacroix. Il fut ensuite expédié en occupation à Innsbruck

Albert Sauvanet

Albert Sauvanet

Albert SAUVANET,
Commandeur de l’Ordre National de la Légion d’Honneur
Doyen des écuyers du Cadre des instructeurs d’équitation de Saumur
Rhin et Danube – Indochine – Algérie

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