La fin du Sherman n°63

La fin du Sherman n°63 D’Artagnan le 18 avril 1945 à Herrenberg (6ème Régiment de Chasseurs d’Afrique (R.C.A.) – 4ème Escadron)

Le 6ème R.C.A. était équipé de chars Sherman M4A2 Diésel. L’équipage était de 5 hommes: Chef de char, Pilote, Aide-Pilote, Tireur, Chargeur.

Le brigadier-chef Louis Watrigant, 21 ans, chef du char 63, a été admis à l’Ecole d’Officiers de Cherchell, mais le 6/12/1944 il refuse de s’y rendre. Le 30 janvier 1945, il ne reste que 13 chars en état sur 51 aux 3 escadrons de Sherman du 6e RCA (après Jebsheim).

Voici le récit du combat du 18 avril 1945 à Herrenberg en Allemagne :

« Allo 75, ici 63, je serais d’avis de foncer… Qu’en pensez-vous ? Répondez.
« – Allo 63, ici 75, d’accord en avant… en avant… »

Et le 63, qui après une progression mouvementée dans un terrain difficile, était aux aguets depuis plusieurs minutes, à 200 mètres des premières maisons d’Herrenberg, repart.

Tout ce qui est suspect est copieusement arrosé, mitrailleuses de capot et de tourelle, mitrailleuse de 50 crachent dans toutes les directions. Le Half-Track de la Légion, qui suit, en fait autant. L’esprit de chaque homme est tendu, il s’agit de tuer et non d’être tué.

Devant nous se trouve l’inconnu, l’ennemi avec toutes ses traîtrises, ses snipers, ses panzerfausts. BOUM.  une détonation formidable et une immense flamme. Un panzerfaust vient d’atteindre 63 alors qu’il ne se trouvait plus qu’à 70 mètres de la première maison. Watrigant, le Chef de char, ordonne immédiatement l’évacuation du char; il n’a pas besoin de répéter l’ordre. En vingt secondes, les gars ont giclé de la tourelle et se sont précipités dans le fossé, cherchant à s’abriter le mieux possible des tireurs ennemis embusqués dans les premières maisons. Le char, emporté dans son élan, a quitté la route et s’est embourbé à 50 mètres plus loin dans la prairie.

Sitôt camouflé dans un trou avec ses hommes, Watrigant fait le point : il manque le pilote et l’aide-pilote, et du char non loin de là, se dégage une épaisse fumée. Les gars sont sûrement dedans, blessés sans doute ? Il faut les sauver mais comment faire ? Si l’on sort du trou, on se fait descendre ! Tant pis, on risque le coup…

En rampant, Watrigant parvient au char sans être touché. Il entend des gémissements et s’aperçoit que les volets du poste avant sont toujours fermés. En un bond il est sur le char et ouvre l’écoutille du pilote qui, grièvement blessé et brûlé, cherche à sortir. Un petit coup de main pour le tirer et le précipiter à terre, en vitesse car les tireurs ennemis recommencent à tirer. Et en voilà un de sauvé. A l’autre maintenant. Merde ! la porte est bouclée. Mais il faut à tout prix l’ouvrir et il n’y a qu’un moyen : comme un fou, Watrigant a pris la place du pilote. Une épaisse fumée et des flammes l’environnent. A droite, un rayon de lumière. En un instant, Watrigant a compris : c’est par le trou fait par le panzerfaust que passe cette lumière, juste à côté de l’aide-pilote. Si près de lui. Il doit être foutu. Mais qu’importe, il faut le sortir de là. Watrigant cherche en vain le verrou, mais la fumée est si épaisse qu’il faut chercher à tâtons ; heureusement, il y a un extincteur à portée de la main et une minute plus tard, il ne reste plus que de la fumée qui se dissipe lentement. Alors, l’infernale vision de l’aide-pilote, affalé sur la transmission, la figure et le corps recouverts de sang. Mais il ne faut pas s’arrêter à cela. Il n’est peut-être pas mort, il faut le sortir, ce qui est chose faite en quelques minutes après des efforts inouïs du Chef de char pour dégager et tirer dehors cet immense corps inerte et malgré l’explosion, à proximité du char, d’un deuxième panzerfaust tiré de la petite maisonnette d’où partaient les balles tout à l’heure.

Pendant ce temps, le tireur De la Perrière et le chargeur Mancini, parvenus indemnes jusqu’au char, avaient mis à l’abri le pilote Penicaud. Watrigant,  laissant entre leurs mains l’aide-pilote Sartor qui respirait encore, se dirige en rampant vers le deuxième char dont la progression avait été si brusquement stoppée. Il y trouve le Chef de peloton à qui il rend compte et lui demande une ambulance.

Un quart d’heure plus tard, l’avance ayant repris, l’ambulance emmène l’équipage qui, en jetant un dernier regard sur le char maintenant complètement en feu et explosant de toutes parts , se promet bien de le venger !

HERRENBERG, le 18 avril 1945

Louis WATRIGANT
Chevalier de la Légion d’Honneur le 30.12.1948

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