Avec leurs voies ferrées et leurs ouvrages d’art, leurs triages, leurs installations techniques, leur matériel roulant, les chemins de fer constituent un élément primordial de la logistique militaire. La péniche (minimum 250 tonnes de frêt, et bien plus) est économique mais lente. Le camion, rapide mais gourmand en carburant, ne pouvant transporter que 2 tonnes ½, n’est acceptable qu’en zone de combat. Le Chemin de Fer est irremplaçable pour les tonnages importants imposés par le combat ; pour la Première Armée une journée demandait impérativement 1.500 tonnes d’essence, de munitions et de vivres. Un seul train pouvait transporter 1.800 tonnes.
Au gré de l’avancement ou du recul de la ligne de front, les Chemins de Fer constituent donc la cible prioritaire des belligérants : destruction par tous moyens chez l’ennemi, reconstruction en zone conquise. Les sites les plus sensibles sont défendus par des unités d’artillerie anti-aérienne. Pour préparer le débarquement de Provence, dès mai 1944, l’aviation alliée attaque de Nice à la vallée du Rhône les emprises ferroviaires les plus importantes et les points de passage obligés tels que les viaducs d’Anthéor ou de St-Laurent-du-Var. La population civile et les cheminots déplorent un grand nombre de tués au cours de ces bombardements.
Les troupes allemandes, en se retirant, ont endommagé un nombre important d’ouvrages d’art.
Dès les premiers jours de la Libération, les syndicats de cheminots lancent un appel à la reprise du travail et à l’effort productif : le 28 août 1944 à Marseille, le 2 septembre à Toulon. Dans l’urgence, des dispositifs temporaires, parfois spectaculaires, permettent d’utiliser de nouveau les ouvrages d’art endommagés, tel le viaduc d’Arles. Et le Général de Lattre de Tassigny écrira dans son Histoire de la Première Armée Française : “ La seule voie ferrée qui ait pu être remise en septembre est la ligne de montagne à voie unique qui, par Sistéron , relie Aix-en-Provence à Grenoble (dès le 28 août: 800 tonnes/jour). Avant la fin du mois sa tête est poussée jusqu’à Lons-le-Saulnier mais nous partageons cette artère avec les Américains et nous n’y disposons que d’un faible crédit en trains légers. Sans perdre une heure, le génie français, le génie américain et la SNCF, ont conjugué leurs efforts pour réparer le grande ligne Paris-Marseille à quoi s’accrochent nos espoirs anxieux. La tâche est immense. A partir du début d’octobre, elle est pourtant couronnée de succès, puisque le trafic est d’abord rétabli jusqu’à Lyon, puis continué jusqu’à Baume-les-Dames par des crochets imprévus qui passent -affaire de ponts- à Paray-le Monial, Dijon et Besançon.”
“La victoire se paye !” a dit de Lattre. En effet, il a bien fallu à la Première Armée Française, en avance de plusieurs semaines sur le “planning” américain des victoires, marquer une pause après être arrivée au niveau des Vosges, tout comme la percée extraordinaire de la 3ème US ARMY Patton depuis la Normandie, faute d’essence et de munitions (Dans ses Mémoires de Guerre, de Gaulle écrira: “Dans la campagne d’Europe, la percée de Patton est la chose importante, tout le reste est garniture !”). D’où l’impérieuse nécessité de remettre en état le chemin de fer de la région Est puis d’Alsace, après celui de la vallée du Rhône. Les Allemands en se repliant ont pillé tout l’outillage des dépôts, en faisant sauter ce qu’ils ne peuvent emporter, par exemple aux Ateliers de Montigny 680 wagons, et à Bischheim 17 trains soit 535 wagons chargés de 8137 tonnes de machines-outils et outillage.
Le « Transportation Corps de l’U.S. ARMY « fit traverser l’Atlantique en 1944 450 exemplaires de la locomotive 030 TU pour les besoins de l’Armée américaine sur l’ensemble des réseaux concernés par la guerre, y compris au Royaume Uni au gabarit spécialement restreint. Robustes, légères (45 t), simples, ces locomotives de services, conçues par le Colonel Hill, sont très réussies bien que rudimentaires. Leur puissance de plus de 11 tonnes à 50 km/h leur permet le décollage de lourdes rames sur les embranchements portuaires.
L’industrie américaine construisit de plus 578 locomotives à vapeur du type 140 U « Consolidation ». Elles furent expédiées en pièces détachées et assemblées en Afrique du Nord puis en France et au Royaume Uni où elles étaient adaptées au gabarit anglais. Ces locomotives de 125 tonnes sont d’une conception ancienne, remise au goût du jour avec foyer en acier, chauffées soit au charbon, soit au fuel. Leur vaste cabine de conduite est d’un confort encore peu connu des personnels européens de conduite de l’époque. Elles peuvent remorquer des convois de 1 000 T à 45 km/h, mais sont capables de rouler à 80 ou même 100 km/h. Inusables, fiables, se contentant des conditions d’entretien et de conduite très précaires de ces dures années de guerre, les 140 U auront bien fait leur service.
Pour l’organisation des transports par fer, au fur et à mesure du repli des Allemands, la SNCF passe sous le contrôle des organismes militaires alliés : le Railway Transport Office et le Military-Railway-Service. Les relations entre l’Armée Française et la SNCF se font par l’intermédiaire du Service Militaire des Chemins de Fer (SMCF).
Avant la guerre, la SNCF possédait 17 000 locomotives, 460 000 wagons de marchandises, 36 000 voitures de voyageurs. En août 1944, il ne lui restait que 11 000 locomotives dont 2 000 utilisables, 230 000 wagons de marchandises dont 14 000 avariés et 17 000 voitures de voyageurs dont 7 000 à réparer, du fait des prélèvements allemands et des bombardements.
La remise en état du matériel roulant et fixe dans ces conditions demandera au départ des efforts surhumains qui seront acceptés par un magnifique personnel.
Durant ce conflit les cheminots ont souvent montré une conduite héroïque : 800 furent exécutés par les nazis pour avoir refusé d’obéir aux ordres, environ 1.200 furent déportés pour actes de désobéissance et sabotages et 2.561 ont été tués par mitraillages, bombardements et mines. Ils se sont sacrifiés car ils avaient compris que les transports ferroviaires étaient les clefs de la Victoire.
Leur souvenir ne s’éteindra pas car nous aurons une pensée émue vers eux chaque fois que nous passerons en gare devant la plaque des disparus locaux “Morts pour la Patrie”.