Le service de santé


Santé

Insigne du Service de Santé des Armées

« Mais, une bonne fois, je veux redire également les efforts et les mérites … et l’incomparable dévouement du Service de Santé. Certes, celui-ci répond à sa vocation naturelle en se penchant, inlassable, sur toutes les souffrances. Mais il le fit avec une générosité et une science auxquelles beaucoup doivent la vie. » (Maréchal de Lattre de Tassigny)

1) L’organisation.

Le pivot du soutien médical au sein de la 1ère Armée était assuré par les bataillons médicaux divisionnaires formés sur le modèle américain.

Ces bataillons regroupaient des moyens de ramassage et d’évacuation ainsi que des éléments de triage et de traitement. Leur composition et leur manœuvre variaient selon qu’ils appartenaient aux divisions d’infanterie ou aux divisions blindées.

Dans une DI, le Bataillon médical disposait de 3 compagnies de ramassage de 30 véhicules sanitaires chacune et d’une compagnie de triage articulée en deux sections (avec 4 médecins dont un chirurgien). La mission de ces sections de triage était de catégoriser les blessés et d’assurer leur mise en condition avant évacuation vers une formation chirurgicale.

Adapté aux conditions d’emploi de la DB, son bataillon médical mettait en ligne trois compagnies de composition identique avec, pour chacune, une section de ramassage, une section de triage (une équipe chirurgicale avec un chirurgien, un aide-chirurgien et un anesthésiste) et une équipe de réanimation – transfusion. Cette organisation ternaire correspondait à celle de la DB en 3 groupements tactiques.

Les compagnies de triage et de traitement divisionnaires pouvaient être renforcées par une structure chirurgicale originale, entièrement motorisée, dont la grande mobilité lui permettait d’être en permanence à la pointe des combats : la FCM, formation chirurgicale mobile. La création des trois premières FCM reste attachée à des personnalités d’exception : la comtesse du Luart pour la FCM 1 (spécialement affectée à la 2e DIM), Madame Catroux pour la FCM 2 (attachée à la 3e DIA) et Lady Spears pour la FCM 3 (adaptée à la 1re DFL). Trois autres FCM furent mises sur pied par la Croix Rouge parisienne en liaison avec la Direction du Service de Santé de la 1ére région militaire et la Direction du Service de Santé rétablie au sein du Ministère de la Guerre.

L’échelon de soutien hospitalier était assuré par 11 hôpitaux mobiles et d’évacuation. Les réserves d’Armée comportaient en outre trois bataillons médicaux de réserve générale, deux groupes chirurgicaux mobiles, un laboratoire d’armée, deux dépôts de ravitaillement sanitaire et trois dépôts avancés de ravitaillement sanitaire. Le dispositif était complété par deux compagnies de douches, désinfection et désinsectisation ainsi que par 360 voitures sanitaires de réserve générale.

2) La Campagne de France.

 21 – Le débarquement et les combats de Provence. (15 août – 28 août 1944)

 Au soir du 14 août, alors que les forces de débarquement naviguent vers la France, les premières unités françaises (7e RTA et Commandos) débarquent sur les plages de Saint-Tropez et de Cavalaire pour neutraliser les batteries côtières allemandes les plus dangereuses. Le 15 août à l’aube, trois divisions américaines et un groupement de la 1ére DB française s’élancent à l’assaut des positions ennemies.

La planification de l’opération « Anvil Dragoon » avait prévu que l’attaque vers Toulon aurait lieu à « J+15 ». A cet effet, 100.000 hommes devaient avoir été mis au sol pour le 30 août. Pour assurer leur soutien médical, le Service de Santé aurait dû disposer de 6 hôpitaux (2.700 lits), 3 FCM, deux Bataillons médicaux de réserve générale, de moyens de ravitaillement et de 288 voitures sanitaires pour assurer les évacuations au delà des zones divisionnaires. La réalité fut bien différente.

Ambulance débarquant d'un LCVP (Cliquez pour agrandir)

En effet, soucieux d’exploiter au plus vite le désarroi créé dans les rangs allemands, le Général de Lattre décida de lancer l’attaque vers l’Ouest dès le 18 août, sans attendre le débarquement de la totalité des moyens. Traversant le Massif des Maures, trois groupements tactiques (environ 30.000 hommes) abordèrent les lisières de Toulon dès le 19 août au matin.

Les zones de stationnement des unités sanitaires avaient été primitivement fixées à Gassin et à Grimaud : le 19 août la Direction du Service de Santé de l’Armée n’y disposait encore que de trois hôpitaux et de trois compagnies de ramassage. Cinquante pour cent des véhicules étaient toujours à bord des navires.

Les premières pertes resteront légères et jusqu’au 20 août les blessés français pourront être directement admis au groupe sanitaire de plage américain de Cavalaire, à l’hôpital d’évacuation de la Croix-Valmer et à l’hôpital civil du Lavandou.

Le 20 août l’assaut est lancé contre Toulon. Les combats sévères dureront six jours. Au premier jour de combat 1.000 blessés sont déjà tombés. Compte tenu de l’insuffisance des moyens d’évacuation, les hôpitaux doivent être déployés au plus près de la ligne de contact. Une partie des blessés français, opérés ou non, est directement admise dans les hôpitaux américains installés à Gonfaron.

Déjà à la limite de la rupture à Toulon, la situation du Service de Santé est compliquée par la percée fulgurante du groupement de la 3e DIA jusque dans la grande banlieue de Marseille : ce sont bien deux opérations distinctes, entraînant une multiplication et un allongement des axes d’évacuation, qu’il faut soutenir simultanément. Or, les seuls renforts mis à terre sont les deux compagnies de ramassage du 25e Bataillon qui avaient participé au débarquement de la 9e DIC sur l’Ile d’Elbe le 19 juin 1944 où, en moins de 36 heures, le 25e Bataillon Médical avait reçu et évacué 826 blessés.

Les 21 et 22 août les combats atteignent leur paroxysme dans Toulon et lors de la prise d’Aubagne. Le 23 Août, l’ennemi réagit avec vigueur autant à Toulon qu’à Marseille. Heureusement, les renforts sanitaires arrivent enfin: le 24 au matin le Service de Santé de l’Armée peut mettre en ligne les hôpitaux permettant de disposer de 1.600 lits et 180 véhicules sanitaires d’évacuation.

Le 25, le cap difficile semble franchi. La résistance allemande fléchit. Pourtant le Service de santé va être confronté à un nouveau problème : les Américains interrompent toutes les évacuations sur l’Afrique du Nord : tous les blessés et malades français devront être pris en charge localement. Or, les structures territoriales n’offrent que 417 lits chirurgicaux.

Heureusement, la bataille de Toulon s’achève le 26 août et celle de Marseille, le 28 août.

Cette victoire éclatante eut un prix : 5.541 admissions dans les hôpitaux français et 175 dans les hôpitaux américains au cours de ces neuf journées de combats intenses.

 22) La libération du territoire national. (26 août 1944 – 2 février 1945)

Cette campagne, au cours de laquelle l’Armée « B » (qui deviendra Première Armée Française après ses premiers succès) de 250.000 hommes débarqués en Provence, se renforcera de 150.000 volontaires dont 100.000 venus des maquis « amalgamés » aux divisions anciennes et 50.000 jeunes français de métropole, de toutes classes sociales, ne voulant pas manquer cette glorieuse aventure, (soit 400.000 hommes et femmes au total), afin de symboliser l’unité nationale retrouvée, va connaître trois phases distinctes.

De la Méditerranée aux Vosges.

La progression est fulgurante malgré des résistances sporadiques de la Wehrmacht. Ces combats de retardement font, fort heureusement, peu de victimes car les unités de soutien sanitaire, comme le reste du matériel de l’Armée, ne peuvent pas suivre le rythme des unités combattantes, faute d’essence. Les blessés et les malades sont recueillis dans les structures du territoire. Le 12 septembre l’Armée B fait sa jonction avec la 2e DB en Côte d’Or et le 25 septembre l’Armée « B » devient « 1re Armée ».

La prise des Vosges et de la Haute-Alsace.

L’ennemi avait pu se rétablir sur les Vosges et dans la trouée de Belfort où il livre une résistance acharnée sur ce qu’il considère comme les frontières du Reich. Les combats vont durer deux mois alors que le froid est apparu. Aux quatre à cinq cents blessés quotidiens viennent s’ajouter les gelures : d’octobre à février plus de 8.500 « pieds gelés » seront hospitalisés ; en décembre ils représenteront 22,7% du total des blessés.

Les places dans les hôpitaux du territoire sont rares et les moyens de transport sanitaires très limités : le premier train sanitaire ne partira des Vosges que le 11 octobre et mettra neuf jours pour effectuer la boucle sur Toulouse. Le 16 octobre, un convoi de 80 ambulances ralliera Marseille depuis Besançon pour profiter du navire hôpital “Canada”.

Navire-hôpital "CANADA" (Cliquez pour agrandir)

Partout, malgré les difficultés immenses, le personnel médical remplit ses missions avec héroïsme, à l’exemple de la compagnie médicale de la 1re DB encerclée dans Mulhouse. Isolé, le médecin capitaine Mabille opère, hospitalise, prépare des évacuations que les conductrices ambulancières vont réaliser en traversant les lignes ennemies. Plusieurs seront tués (médecin capitaine Cheynet) ou blessés comme le lieutenant féminin Rouquette, qui sera amputée de la cuisse droite, ou encore le médecin Tardieu, détaché auprès de la 1ère Compagnie du 4ème RTT encerclée dans l’hôtel du Hohneck, qui recevra sept éclats dans le corps et qui suivra, après cinq jours d’une résistance héroïque, les survivants de cette Compagnie dans la captivité.

La bataille d’Alsace.

Elle sera déclenchée le 20 janvier dans la tempête de neige et par moins 20° ! La 1re Armée renforcée par trois divisions américaines va conduire l’attaque la plus difficile qu’elle ait eu à mener jusque là. On se bat en Haute-Alsace, près de Strasbourg, sur les cols des Vosges, dans les marais gelés de Cernay où tombera le médecin capitaine Mourier.

D’emblée les blessés arrivent à la cadence de 1.000 à 1.300 par jour. Dans la zone des combats les véhicules sanitaires se déplacent lentement: il faut cinq à six heures pour parcourir 25 kilomètres sur de mauvaises routes verglacées ou enneigées. Les conductrices ambulancières vont forcer l’admiration de tous, accomplissant jusqu’à 22 heures de mission continue par tous les chemins, sous le feu des mortiers et des mitrailleuses. Les actes de bravoure du personnel sanitaire ne se comptent plus : 22 médecins seront tués et 10 blessés au cours de la seule bataille d’Alsace.

Groupe d'ambulancières devant l'ambulance "Conductrice Denise FERRIER" Source: Collection Jean-Michel BONIFACE (Cliquez pour agrandir)

Bandeau de l'ambulance : "Conductrice Denise Ferrier"

(Voir au chapitre « Témoignages » l’émouvant article « La conduite héroïque de l’ambulancière Denise FERRIER »)

A l’arrière, les énergies tendues permettent aux formations hospitalières de prendre en charge tous les blessés qui arrivent. Il faut accompagner la bataille au plus près : en moins de trente heures, l’hôpital d’évacuation 405 ferme à Besançon, fait mouvement et ouvre à Zillisheim où les combats se sont engagés.

Le 2 février 1945, les chars de la 5éme DB pénètrent dans Colmar et le 19 mars l’Alsace est totalement libérée.

Pendant les 14 jours les plus durs de la Bataille d’Alsace, 12.500 blessés ou malades auront été relevés, évacués et traités dans les formations sanitaires de la 1ére Armée.

23) Du Rhin au Danube (31 mars – 8 mai 1945)

Le 31 mars 1945, le général de Lattre fait franchir par ses divisions le Rhin à Germersheim et les lance vers Karlsruhe et Freudenstadt dont la prise le 16 avril ouvre les axes d’exploitation vers Stuttgart, enlevée le 21 avril, Sigmaringen, tombée le 24 avril et la frontière autrichienne, franchie le 28 avril.

Au cours de ces cinq semaines, le Service de santé va être confronté à de nouvelles difficultés imprévues : en même temps que d’assurer le soutien des forces effectuant un mouvement de grande amplitude il faut, sans moyen supplémentaire, organiser la prise en charge prophylactique des 350.000 prisonniers de guerre français ainsi que des déportés libérés des camps.

L’ennemi se bat avec l’énergie du désespoir infligeant de 300 à 400 blessés par jour dans les rangs de la 1ére Armée. Les bataillons médicaux et les formations chirurgicales mobiles suivent au plus près les unités de combat. Les unités hospitalières moins mobiles en théorie traversent d’un trait du Rhin au Danube. La prise de Sigmaringen, offrant un terrain d’aviation utilisable par les avions de transport, permet d’organiser les évacuations par voie aérienne vers Strasbourg, libérant le Service de santé des contraintes qu’il maîtrisait avec courage et abnégation depuis le début de la campagne.

La Bataille d’Allemagne aura apporté son lot d’héroïsme et de sacrifices dans ses rangs : les deux sœurs Lecoq, ambulancières, sont sauvagement assassinées au cours d’une évacuation par des éléments SS dissimulés dans les bois en Forêt Noire; à Ettenheim, le médecin sous-lieutenant Presles et une équipe de brancardiers sauvent un officier et trois chasseurs sous le feu des canons anti-chars ennemis ; à Koenigsnach, le médecin sous-lieutenant Richet rassemble les hommes d’un commando dont tous les officiers ont été tués pour qu’ils repartent à l’attaque et repoussent l’ennemi ; le médecin auxiliaire Pérès est tué en plein combat dans son véhicule qui ramenait deux blessés ; le médecin lieutenant Stefannini, fait prisonnier à Reutlingen alors qu’il pansait des blessés, s’évade la nuit suivante et reprend sa place dans son bataillon de choc.

Le 8 mai mettra un terme à l’épopée de la 1ére Armée mais pour son Service de santé les efforts n’étaient pas terminés : aux 350.000 prisonniers et déportés français qu’il fallait prendre en charge, s’ajoutaient 20.000 civils et militaires des pays de l’Est qui n’avaient pas le droit de franchir le Rhin mais qu’il fallait bien soigner. Ainsi, l’action au service de la Patrie du Service de Santé de la 1ére Armée se poursuivait au nom de l’Humanité, fidèle en cela à l’adresse célèbre du Baron Percy.*

 3) Les pertes humaines.

 Entre le 15 août 1944 et le 8 mai 1945, soit pendant 267 jours, la 1ére Armée enregistra entre 15,8% et 18,6% de blessés au combat.

Les données sur les pertes varient selon les sources : de 41.064 à 48.455 blessés au combat et de 9.931 à 13.883 morts. Le Maréchal de Lattre avait retenu les chiffres de 13 874 morts (5,33 %) et de 42 256 blessés au combat auxquels s’ajoutaient 53.425 malades ou accidentés, soit un total de pertes «santé» de 95.689 blessés et malades, 36,8 % de l’effectif moyen de la 1ére Armée. 28.687 avaient pu rejoindre leurs unités de combat alors que 1. 186 étaient morts dans ses hôpitaux.

Le cordon sanitaire avait vu passer 346.210 sujets à épouiller, avait permis de dépister 5 .077 malades dont 29 cas de typhus. Après le 8 mai ce sont 3.921 malades graves qui furent évacués des camps de concentration et 1.261 tuberculeux graves admis dans les sanatoria ouverts en Forêt Noire.

La chaîne d’évacuation sanitaire

Sources: ecpad et Musée du Service de Santé des Armées


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*“Allez où la Patrie et l’Humanité vous appellent, soyez toujours prêts à servir l’une ou l’autre, et, s’il le faut, imiter ceux de vos généreux compagnons qui, au même poste, sont morts martyrs de ce dévouement intrépide qui est le véritable acte de Foi des hommes de notre État.”

Baron PERCY, chirurgien en chef de la Grande Armée, aux chirurgiens sous-aides. 1811.

Article rédigé spécialement pour notre site par le Médecin-Général-Inspecteur Raymond WEY

15 juin 2013

Ce contenu a été publié dans Service de santé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.