Le récit ci-après du soldat de deuxième classe François Fydrych prouve ce que fut le courage des jeunes Français dans l’épreuve:
Entre le 15 et le 20 janvier 1945, notre unité en position à Lutterbach, dans la banlieue de Mulhouse a été relevée et a fait mouvement sur Kingersheim en prévision de la dernière offensive d’hiver pour nettoyer la Poche de Colmar.
Le 27 janvier, dans la matinée, on nous prévient que nous allons attaquer. J’avais 17 ans. L’âge des camarades de ma section variait entre 17 et 21 ans.
Il neigeait à gros flocons. Nous reçûmes du tissu blanc. Nous l’avons coupé , pour camoufler les casques d’une part, et d’autre part pour en faire des tuniques de façon à cacher au maximum nos capotes kaki, à l’exception des manches. Les Allemands, de la division de Gebirsjeager, avaient eux aussi des tenues blanches adaptées au paysage.. On nous annonça que nous allions monter à l’assaut, à la baïonnette, d’une tranchée tenue par l’ennemi.
Nous partîmes à l’assaut ! Impossible de courir, il y a au moins 30 cm de neige, même en essayant de faire de grandes enjambées. Pendant ce temps, l’officier D.L.O. (« Détachement de Liaison et d’Observation » = Observateur et régulateur des tirs d’artillerie), un champion, faisait effectuer un tir de barrage sur la tranchée allemande distante de 150 à 200 mètres de notre point de départ…. J’ai donc atteint l’aile extrême gauche de l’objectif et sauté dans la tranchée. Je revins sur ma droite pour essayer d’établir un contact avec mes camarades. Je fis 10 à 15 mètres dans la tranchée principale. Personne ! Par contre, j’entendis des ordres en allemand et vis quelques grenades à manche qui voltigeaient par-dessus ma tête pour tomber quelques mètres derrière moi, sur ceux qui n’avaient pu arriver encore. Je me mis en embuscade à la jonction d’un boyau qui reliait la tranchée principale à un abri ou à un chemin de repli. J’entendis un bruit de pas, des voix, et la suite se passa en quelques secondes qui me parurent une éternité. Voici les faits. J’avais dans les mains mon fusil, baïonnette au canon, un pistolet allemand à la ceinture et une grenade F1 dégoupillée, prête à être lancée. Mon coeur battait très fort.
Je vis déboucher à trois mètres de moi, par le boyau qui était plus étroit que la tranchée principale, un Allemand, mitrailleuse en bout de bras. Il s’arrêta et me regarda, surpris. Nous étions tous les deux en blanc. Mon fusil avec baïonnette pointé sur lui, je lui demandai, en allemand, de lever les bras. Pendant ce temps (cela va vite!) je me dis que si je le fais prisonnier, l’autre Allemand, que je ne vois pas, va m’abattre: aussi j’appuie sur la détente de mon fusil. Stupeur: le coup ne part pas! Le gel sans doute. Le mitrailleur répondit à mon injonction de se rendre: “Mench, macht kein Dumeit”, ce qui signifiait : “Mon vieux, ne fais pas de …bêtise”. Le deuxième Allemand, pourvoyeur de la mitrailleuse, que je ne voyais pas, l’interrogeait: “Was ist los ?” (Que se passe-t-il ?) Au même instant, je jetai ma grenade F1 dans les jambes du mitrailleur qui s’est retourné pour s’enfuir.
Il a dû bousculer son pourvoyeur, le boyau est très étroit, la grenade explosa les tuant tous les deux. De mon côté, j’étais protégé par l’angle de la tranchée et du boyau. Le comble, en vérifiant mon fusil, je m’aperçus que j’avais oublié d’enlever le cran de sûreté. Si mon arme avait fonctionné, je n’aurais certainement pas eu le temps d’abattre le deuxième Allemand, et je ne saurai jamais si, en la circonstance, j’aurais été capable, à 17 ans, d’embrocher un homme à la baïonnette, et le pourvoyeur aurait été sûrement plus rapide.
Soldat de deuxième classe François FYDRYCH
Officier de la Légion d’Honneur