De l’occupation au Lac de Constance

La résistance et la guerre furent pour moi une grande aventure qui marqua une étape importante de ma vie. Les adolescents que nous étions à cette époque faisaient partie de la jeunesse sacrifiée, ceci à cause de la capitulation de l’armée française et de l’occupation allemande. Tout nous était interdit, aucune distraction : ni bals, ni fête, ni voyage, ni cigarettes, ni boissons, etc…
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Vers la fin de l’année 1943, le recensement de ma classe (la 44) est effectué en vue de notre incorporation aux Chantiers de Jeunesse (…) pour une période de huit mois et ensuite nous imposer d’aller travailler en Allemagne ou participer à la fortification du Mur de l’Atlantique (organisation Todt). Personnellement, je m’étais toujours refusé à servir un régime qui collaborait et souhaitait la victoire de l’occupant et ennemi nazi. Il ne restait qu’une solution: partir sans laisser d’adresse.
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Je suis parti seul dans la nuit en direction de Pleaux (Cantal) afin de rejoindre un maquis dont je connaissais l’existence. Ce maquis était constitué et encadré principalement par des ouvriers et des ingénieurs du chantier de Saint-Cirgues (aménagement d’une centrale hydroélectrique) (….) Je suis enfin arrivé dans le maquis que je recherchais. Après un interrogatoire assez serré dû certainement à la possibilité d’infiltration par la Gestapo dans la résistance, je fus admis et affecté dans la section des “corps francs” par le capitaine Bonneval, ex-officier de la Légion Etrangère. Au cours de cet entretien, je reçu un ordre et un conseil. L’ordre était de détruire tous les papiers d’identité en ma possession et trouver un pseudonyme dans le but de protéger ma famille en cas de capture par les Allemands ou les miliciens. Le conseil: il m’a été conseillé de garder, afin de pouvoir l’utiliser contre moi, la dernière balle de mon arme dans le but de m’éviter les tortures nazies en cas de capture.
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Le 16 septembre 1944, nous partons en direction d’Auxonne (Côte-d’Or) afin de permettre le regroupement des différents maquis et pour parfaire notre formation. (…) Une mise en demeure nous fut faite: il s’agissait de prendre un engagement par écrit à servir dans l’armée française pour la durée de la guerre ou de rentrer chez soi. (Je signai) et à partir de ce moment là, je n’étais plus un maquisard, ni un terroriste, mais un soldat (…) Nous sommes intégrés à la 9° D.I.C. (Division d’infanterie coloniale) et partons au front à Villars-les-Blamont (Doubs)  (…) où nous essuyons quelques salves d’artillerie.
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Nous avons été transférés à Audincourt et ensuite à Delle où le bataillon était regroupé pour intervenir dans le cas où le gros des troupes nazies chercherait à se mettre à l’abri en Suisse. De très durs combats eurent lieu pendant trois jours consécutifs, les 24, 25, 26 novembre 1944, qui coûtèrent à notre bataillon dix-huit morts, cinq disparus et une centaine de blessés. (…) Les Allemands durent subir notre supériorité et battre en retraite. (…) Début janvier, nous sommes regroupés à Morschviller le Bas. Il fait très froid et il y a 40 cm de neige. Nous devons être prêts à intervenir pour la grande attaque qui doit finir de libérer l’Alsace dont les Allemands occupent toujours une partie importante entre Mulhouse et Sélestat, dénommée “poche de Colmar”. Cette attaque, la plus dure et la plus périlleuse que j’aie connue, débuta le 20 janvier 1945. Pendant trois jours, nous avons attaqué et aussi été repoussés sur un terrain enneigé et infesté de mines, par une température de -20°. Nous avons plusieurs fois traversé la Doller avec de l’eau jusqu’aux genoux. C’était terrible, de nombreux soldats furent évacués pour pieds gelés. J’ai reçu une balle qui me déchira une chaussure et qui m’effleura la face externe du pied gauche. J’avais tellement froid que je ne sentais presque pas la douleur. J’ai refusé de me laisser évacuer. Cette attitude me valut d’être décoré de la Croix de Guerre avec étoile de bronze.

Les Allemands pris en tenaille se rendaient en masse; ils étaient hagards, la plupart d’entre eux étaient chaussés avec des sacs de jute remplis de paille afin de se préserver du froid.
Cette grande attaque, menée par l’ensemble de la Première armée française et par plusieurs divisions américaines a permis de libérer pratiquement toute l’Alsace.

(…) Le régiment est au repos à Colmar, sa ville de garnison, du début février au 20 mars. Nous logeons au lycée Bartoldi, la caserne du 15.2 ayant été minée par les Allemands au moment de leur départ avec des dispositifs à retardement. Nous sommes équipés du bel uniforme de l’armée américaine et le 10 février, nous défilons dans notre ville en présence du général de Gaulle venu à Colmar remettre officiellement au colonel Colliou le drapeau de notre régiment. Puis ce fut quinze jours de permission à Riotord où ma mère était heureuse de me revoir mais aussi inquiète, sachant que la guerre continuait.(… )

C’est dans ce pays (Scheibenhardt) que nous avons mis pour la première fois les pieds en Allemagne. Nous étions à la fois heureux et fiers de prendre une revanche envers cet ennemi qui nous avait occupé et humilié pendant quatre ans (…). Le 18 avril, nous sommes transportés par les camions du train en direction de Karlsruhe (…). Le 21 avril, en fin de journée, nous atteignons Stuttgart après de durs combats  qui nous permirent de capturer des régiments entiers de l’armée nazie (…). Au bout de quelques jours, nous quittons Stuttgart en direction de la Forêt Noire et du Lac de Constance (…). Nous arrivons à Ohningen, sur les bords du Lac, le 8 mai 1945, jour de la fin de la guerre; notre joie est à son comble. Démobilisé en janvier 1946, je repris mon travail à Riotord.
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Je souhaite que les générations futures n’oublient pas ce qui s’est passé entre 1940 et 1945. Il faut qu’elles veillent sur le maintien de cette démocratie que nous avons si chèrement acquise.
Je conclus en signalant que nous les résistants, qui représentions une partie infime des Français  et qui avons refusé la présence de l’ennemi, le nazisme, et qui avons préparé un monde meilleur à nos enfants et petits-enfants, nous nous souvenons avec émotion de nos camarades qui ont payé de leur vie leurs convictions. Nous pardonnons, mais nous n’oublions pas et si les générations futures veulent la paix et la liberté, nous leur recommandons surtout de ne pas oublier le passé.
Cette victoire sur l’ennemi n’a pu être effective que grâce au concours de jeunes volontaires dont la plupart était issue comme moi-même de la base, et n’avait ni patrimoine, ni compte en banque à défendre. Ils se sont battus exclusivement pour l’honneur de la patrie, afin que la France puisse effacer sa défaite de 1940 et retrouver sa place parmi les grandes nations dans le monde.

Soldat de 1ère classe (volontaire) Joseph FOURBOUL

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