Début novembre 1944, l’ennemi tenait solidement les crêtes des Vosges. Il estimait que la 1ère Armée, après ses succès incroyables en si peu de temps, allait prendre ses quartiers d’hiver au repos. Un général tué au début de l’offensive pour Belfort, avait noté sur son carnet : “Les Français organisent le terrain et n’ont pas l’intention d’attaquer.”
Le gros des forces allemandes avait quitté le sud de l’Alsace pour la bataille des Vosges au nord. Les 11 et 15 octobre 1944, l’État-major de de Lattre lui soumet les plans d’une action vers le Doubs. La condition était de pouvoir franchir la Lisaine afin d’éviter les combats dans le secteur Montbéliard-Héricourt après une action “en souplesse” entre la frontière suisse et le Doubs. Le 17 octobre de Lattre prit la décision d’arrêter l’action du 2ème Corps dans les Vosges et d’agir à la droite du 1er Corps au sud avec une préparation faite dans le plus grand secret et une attaque surprise. Dans les Vosges où avaient été suspendues les actions offensives, il fut demandé à Monsabert “d’y maintenir une attitude agressive pour fixer les réserves de l’adversaire.”
Il fallut donc monter un “plan de déception” dont le but était de donner aux Allemands une impression de sécurité totale dans le secteur du Doubs mais de l’inciter à penser que le secteur des Vosges restait pour de Lattre le point important. Tous les moyens seront bons: faux mouvements d’unités amenées à grand bruit le jour et repartant la nuit tous feux éteints, important faux trafic radio, pose de pancartes routières, créations fictives de P.C., fausse “Instruction Secrète” pour importants combats dans les Vosges “dérobée” et portée au général Wiese (malgré l’arrêt par nos Marocains du pseudo-espion traversant nos lignes) ; le 12 novembre annonce fausse (hélas) de la reprise des permissions mi-novembre, etc ,,, Le carburant et les munitions nécessaires sont stockés avec d’infinies précautions pour échapper aux espions, Les troupes volontairement gardées hors du secteur du 1er Corps le rejoignent secrètement au cours des trois nuits précédant l’attaque, Le 1er Corps Aérien Français du général Girardot fournira 120 chasseurs, 80 bombardiers et 20 avions de reconnaissance, d’où une maîtrise de l’air en Haute Alsace.
Le 13 novembre, date prévue de l’offensive, une véritable tempête de neige empêche toute vue au-delà de quelques mètres: elle est remise au lendemain. Ce même jour, arrive en train spécial à Besançon Winston Churchill et le général de Gaulle. Au départ des visiteurs a lieu le dialogue célèbre entre Churchill et de Lattre: “ Vous n’allez tout de même pas faire attaquer par un temps pareil ? ” “Il n’en est pas question, Monsieur le Premier.”
Le 14, au matin le temps semble s’améliorer et l’action est déclenchée à 14 heures.
En face la 338° Volksgrenadiere Division est étirée sur 30 km depuis la Suisse. Enfoncé dans la neige, chacun de ses soldats se prépare sans souci à prendre ses quartiers d’hiver. Son chef, le général Oschmann, scrupuleux, inspecte ses avant-postes. Soudain, à 11h20 un bombardement inouï l’oblige à se réfugier dans un trou. Au bout d’une heure, il quitte son abri mais les soldats marocains du 8° R.T.M. sont là et une rafale de mitraillette lui fait perdre la vie. Il a avec lui la carte avec tout le dispositif de la 338° V.G.D. et les derniers ordres donnés. La surprise de l’adversaire est donc totale.
La neige retombe mais n’empêche pas l’attaque. A la nuit, le front allemand est instable sur 15 km et l’avance du 8° R.T.M. est de 5 km ; le général Wiese n’y voit qu’un coup de main et attend toujours notre attaque dans les Vosges, n’envoyant que de faibles renforts au sud. Une nuit de combat se termine à notre avantage à Écot. Le 15 novembre, la 9° D.I.C. a désorganisé la défense allemande du Doubs et au soir la situation est favorable. Le matin du 16, les chars font sauter les verrous. La phase de rupture est proche et celle de l’exploitation
va s’ouvrir. Le commandement allemand réalise la gravité de la situation : il s’agit pour lui de protéger le système défensif de Belfort en tenant Héricourt et il engage enfin des renforts importants. Mais deux pelotons du 1er Cuirassiers se faufilent entre les résistances et sautent vers 11 heures sur Héricourt, empêchant la destruction du pont sur la Lisaine. L’ennemi riposte furieusement mais les Marocains défendent le pont qu’ils conservent jusqu’à l’arrivée du C.C.4 qui dégage Héricourt au cours de la nuit, les Allemands s’étant effondrés. La rive est est tenue sur 8 km de front et 2 de profondeur. Mais la journée connaîtra un succès plus important encore par la prise de Montbéliard par le Colonel Piatte et le 1er Chasseurs d’Afrique où les F.F.I. ont réussi à empêcher les Allemands de détruire les ponts . Pendant ce temps, la 9° D.I.C. a détruit les résistances de la boucle du Doubs. Le 17 au soir voit la 2ème D.I.M., vers le Rhin par la Ière D.B., vers Cernay par la 5ème D.B. .
Pour Belfort, c’est par le nord que sera atteinte la banlieue, le 19. Il faut prendre le fort du Salbert.
A 4 heures du matin, les Commandos d’Afrique, porteurs de cordes et d’échelles, gravissent les pentes abruptes et le bataillon de garde est neutralisé. Vers 16 heures, nos chars sont dans la ville, guidés par les F.F.I. ils empêchent la destruction des ponts. Le 21 novembre à 5 heures du matin, la 4ème Compagnie du Bataillon de Choc pénètre dans la manutention où les boulangers allemands font cuire leur fournée. A 9h20 la Kommandantur est enlevée, la Préfecture libérée. Les défenseurs s’enferment dans la Château et refusent la reddition. Le 25 seulement, Belfort sera complétement libre..