Le 23ème Régiment d’infanterie Coloniale enlève la Cité Anna

Le 25/01/1945 Le 23ème Régiment d’infanterie Coloniale enlève la Cité Anna en Alsace.

Dépassant les éléments des 1er et 3ème Bataillons, le 2ème doit attaquer la Cité Anna après une préparation d’artillerie de 40 minutes et avec l’appui d’un peloton de chars.

La compagnie a pour mission de s’emparer de la moitié est de la Cité Anna. Elle s’installera aux lisières nord.

Les ordres arrivent tard dans la nuit et il faudra attaquer à l’aube. Au jour, ce serait un suicide. Ce n’est même pas une plaine pour y aller, c’est un billard. Le réveil a lieu à 3h30.

Il a neigé dans la nuit. A 4h, réunion des chefs de sections. Rien de précis n’a pu leur être dit plus tôt. Ils savent seulement que l’on va attaquer et que ce sera la Cité Anna. Un dur morceau. On va encore essayer la tactique qui nous a si bien réussi cinq jours plus tôt, lors de la prise de la teinturerie de Pfastatt. Il s’agit d’aller plus vite que l’ennemi ne le peut supposer, se saisir de l’objectif alors qu’il nous croit au mieux, encore aux lisières et le nettoyer ensuite, tranquillement, avec un élément du 2ème échelon. Nos hommes sont au point pour le faire. Ils viennent de le montrer et le succès n’a pu que les rendre encore plus ardents. Ils ont cette “furia française” que leurs aînés ont illustrée.

Les délais de surprise pour atteindre les lisières seront courts. L’ennemi sera alerté par la préparation massive qui lui est offerte. Juste le temps de se rendre compte que c’est bien le dernier obus tombé et de relever la tête. Combien de temps ! Trois minutes ? Deux minutes ? Moins encore ? Heureusement que l’artillerie française est leur terreur ; en tous cas il faudra serrer au plus près des éclatements et bondir aussitôt car l’échelonnement nécessaire de la Compagnie fait poser le problème, non pas pour les premiers éléments, mais pour les derniers.

Il est 5h45, la nuit est claire, les sections se rassemblent tranquillement et sans bruit. On dirait un départ pour l’exercice si ce n’était les grenades accrochées par la cuillère dans les boutonnières des blousons. Les jambes sont libres, la démarche aisée, le regard droit. Des soldats ! Ils sont dignes de la légende que l’on créera pour eux plus tard.

6h40, la Compagnie quitte la grand route pour s’engager dans le chemin parallèle aux lisières du village à un kilomètre au sud. La préparation commence. Les lueurs des explosifs et les gerbes des obus au phosphore détachent les premières maisons en ombre chinoise. Une chance heureuse pour nous guider dans la bonne direction. Encore un quart d’heure et tout est prêt. La Compagnie piquette sur la neige une vague figure rectangulaire d’environ 200 mètres de front sur 400 mètres de profondeur.

7h, le dispositif s’ébranle. Il faut être sûr d’avoir la temps de serrer suffisamment près, et pourtant il faudrait bien pouvoir rester le moins possible là-bas. Le séjour risque d’y être malsain.

A 7h15, les éléments de tête sont à moins de 150 mètres des lisières. Une minute après, un matraquage sévère de mortiers allemands nous arrive dessus. Tout le monde est étendu à plat dans la neige, immobile. Par endroit, les obus ont l’air de se toucher. Et tout autour, presque dessous, des hommes ; jamais un seul ne s’en relèvera. Là-bas, sur les lisières, le tir continue. L’œil est rivé à la montre; les minutes sont longues. Vont-ils finir, enfin, que l’on puisse avancer et quitter ce maudit coin ?

7h21. Une salve de fumigènes placés comme à la main,  juste devant, à nous toucher. En avant ! Allez, le 5ème debout ! Les Allemands continuent à tirer. Ça ne fait rien. Les gars se lèvent, bondissent sans souci de rien, ne voyant que ces lisières que l’on doit, que l’on veut avoir, qu’on aura. Le sergent J… se penche un instant sur A …, blessé. “Laisse-moi, en avant”. Les maisons sont là tout près ! “Allez-y les gars ! On y est ! On les a !” De la gauche, une mitrailleuse commence à tirer, hésitante, puis s’affermit. Maintenant, c’est par bandes. Elle veut nous arrêter. Sur la droite une autre, deux autres lui font écho. Trop tard, nous sommes dans le village. Les éléments désignés serrent sur (l’objectif) 0.1. La préparation d’artillerie qui se continue sur (l’objectif) 0.2 tombe un peu court. Le nettoyage de la partie sud se fait comme prévu. Il commence à faire jour. On se regroupe. La première section n’a pas pu passer. On se recompte. Dans les sections il manque des gars laissés sur le terrain par le bombardement.

Attention, la préparation sur (l’objectif) 0.2 va se terminer.

7h53. De nouveau, la charge à travers les jardinets, sautant les barrières, enfonçant les portes charmantes et dérisoires qui les ferment. Une figure timide à un volet qui s’entrebâille avec précaution : “Les Français ! Bonjour ! Bonjour ! En avant !

8h, les lisières nord; l’objectif final est atteint. Un boche est encore assis dans une camionnette, en train de réchauffer son moteur.”Vous permettez ? Elle est à nous !”. Un autre charge dans sa voiture une Norvégienne de café chaud. Il nous l’offre. On ne peut être plus courtois. Il nous offrirait d’ailleurs sa chemise si on la lui demandait …

Il faut nous organiser, vite, pour le cas où, remis de leur stupeur, les Allemands viendraient nous tâter, pour que notre faible effectif puisse leur faire illusion. Les patrouilles de liaison n’ont en effet rien donné. Nous sommes tout seuls dans la Cité Anna. Pas de liaison radio. A se demander si nous avons bien attaqué le bon village ou si nous ne nous sommes pas trompé de jour. Les gens commencent à nous entourer, heureux. On leur conseille doucement, mais fermement, de retourner dans leurs caves. Certes, nous n’avons pas l’intention de repartir; mais il est dans le domaine des choses possibles que ça barde quand même encore un peu, un peu trop même si les blindés s’en mêlent. La Défense contre les blindés (DCB) se résume en effet à trois lance-grenades et une douzaine de grenades à fusil. On a bien un Rockett, mais les obus n’ont pas suivi !

Le Sergent-Chef P… et le Soldat D… aperçoivent un groupe d’une vingtaine d’Allemands qui s’avancent au nord du “crassier”. Ils ouvrent le feu avec leur mitraillette. Le groupe B… “Toto” en tête, se porte à leur renfort. Sept boches en moins. Les autres n’insistent pas. Nous sommes toujours sans liaison. Vers 9h30, venant de l’ouest, une auto-mitrailleuse allemande s’avance précautionneuse, le long de notre rue. La mitrailleuse légère de de C… est là, un peu en retrait. Encore 50 mètres, trente mètres, vingt mètres; de C… épaule sa mitraillette et lâche deux rafales. Les deux occupants accoudés sur le blindage, en observation, s’écroulent ensemble. A la pièce, Ch… ouvre le feu et lâche presque toute une bande. L’A-M fait demi-tour et s’enfuit sans résister.

En prévision d’une contre-attaque suivant cette reconnaissance, le dispositif est resserré. Le vaste bâtiment du P.C. se transforme en réduit d’où l’on pourra plus facilement s’expliquer. Nos gars semblent enchantés de cette perspective et même paraissent la trouver très drôle.

La Compagnie n’a-t-elle pas un “pot du feu de Dieu !” alors pourquoi s’en faire !

Deux chars, deux Jagdpanthers apparaissent sur la route de Pulversheim à 500 mètres de nous. Ils s’arrêtent quelques instants. Vont-ils se rabattre ? Non ! Ils continuent vers le nord et derrière eux, bientôt huit blindés plus petits, auto-mitrailleuses et auto-canons, suivent sagement à la queue-leu-leu. Peut-être après tout, est-ce une réaction peu normale d’une petite mitrailleuse contre un blindé qui leur a fait supposer l’épaulement d’une D.C.B. puissante !

Nous sommes toujours sans liaison, sans un renseignement d’aucune sorte. Les agents de transmission envoyés vers l’arrière ne sont pas encore revenus. La situation est certainement sportive, mais elle commence à risquer de devenir désagréable, pour peu qu’elle se prolonge encore longtemps !

10 heures moins cinq. Un bruit de chars venant du sud. Cinq minutes après débouche la première section et les éléments qui s’étaient amalgamés juste à temps pour permettre à P… de descendre avec sa mitrailleuse lourde les deux occupants d’une voiture légère allemande courant rejoindre ses blindés. Jamais les tanks Sherman ne m’ont paru si beaux ! La situation devient nettement plus facile.

C’est l’heure du déjeuner; comme d’habitude personne n’y pense… jusqu’au moment où un peu de détente vous fait découvrir une faim canine. De la détente, il est assez peu question. Venant de Wittenheim, cinq blindés légers avec environ une section d’infanterie, s’avancent sur le billard. Les tuniques blanches, analogues à celles des camarades d’autres unités, cette avance tactiquement bizarre en dehors des couverts très perméables et proches, font hésiter sur l’identification. Ce sont bien pourtant des boches. Ils ouvrent le feu sur notre bâtiment à moins de 800 mètres. Mais déjà la concentration d’artillerie est partie et tout le monde est en alerte. Le Capitaine N… la règle soigneusement au milieu des arrivées, sans même l’interrompre pour apprécier le passage à travers le plancher, à moins de deux mètres de lui, un obus qui ricoche de l’étage en-dessous. Il n’éclate pas; un beau petit trou bien rond de 50 cm de diamètre au milieu d’un nuage de plâtras. La suite de la journée nous permit de constater que ce calme effrayant, ce sang-froid imperturbable et ce parfait mépris du danger semblent son habituelle manière d’être.

Dès l’arrivée du tir demandé, l’infanterie se disperse et les blindés cessent de progresser. Les tanks Sherman et les Tanks Destroyers se mettent en action. Deux boches semblent touchés, les autres se replient. Ils ont manqué une belle occasion en ne venant pas trois heures plus tôt. La chose aurait été moins facile pour nous.

C’en est fini avec l’infanterie. Les Allemands ne semblent plus craindre que le débouché de nos blindés. Ils font une démonstration avec deux Jagdpanthers et trois autres plus petits en s’avançant venant du Nord, jusqu’à un millier de mètres du village.

Encore des blessés chez nous. Le Médecin Sous-Lieutenant D…, venu nous dépanner vers midi, se dépense sans compter. Il navigue entre nous et la 6° compagnie. L’itinéraire est pris en enfilade par une mitrailleuse légère allemande tirant de la droite, difficile à localiser, et encore plus difficile à faire taire. Il ne s’en soucie pas. Il soignera et évacuera sans arrêt jusqu’à deux heures du matin ne consentant à prendre un peu de repos que lorsque tout est fini. J’ai rarement vu la fatigue comme sur son visage.

La nuit arrive. Petit à petit, le silence. Seuls dans le lointain quelques tirs de harcèlement. Les guetteurs, doubles, veillent. Nos gars avaient raison en déclarant orgueilleusement aux habitants leur disant leur joie et leur crainte de les voir repartir : “Craignez-rien, la Coloniale ne fout jamais le camp.”

Extrait des Journaux de marche du 23ème Régiment d’Infanterie Coloniale

Conduite héroïque de l’ambulancière Denise Ferrier, de la 2ème Compagnie de Ramassage

MORT D’UNE AMBULANCIÈRE Denise FERRIER  –  CITATION

Denise FerrierAmbulancière de la 2° Compagnie de Ramassage du 25° Bataillon Médical qui s’était déjà fait remarquer à l’Ile d’Elbe par son sang-froid.

Depuis le début de la Campagne de France, volontaire pour toutes les missions vers l’avant, a constamment payé de sa personne et évacué de très nombreux blessés. A participé avec le Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc (Régiment de Reconnaissance de la 9° Division d’Infanterie Coloniale) à la percée sur Mulhouse où son courage  et son esprit de sacrifice  lui ont valu une citation à l’Ordre du Régiment et l’attribution de la fourragère rouge de ce Régiment.

Tuée par un obus le 20 janvier 1945 à Richwiller, à 7 heures du matin, devant un Poste de Secours du Bataillon. Jeune Française animée du plus noble idéal, toute imprégnée de la devise de sa Section “Franchise et Vaillance”, Denise FERRIER restera pour tous ceux qui l’ont connue et aimée un modèle très pur de patriotisme ardent et de souriant héroïsme.

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